Jurisprudence

Modèle de Saisine du Conciliateur de Justice : Résoudre un Litige d’Urbanisme

Modèle de Saisine du Conciliateur de Justice pour un Litige d'Urbanisme

Temps de lecture : 9 minutes

Un voisin a construit un mur qui empiète sur votre terrain. Une extension sans permis obstrue votre vue. Un abri de jardin viole les règles de prospect. Avant d'engager une procédure judiciaire coûteuse, le conciliateur de justice offre une alternative gratuite et efficace. Cette procédure de médiation amiable, encadrée par le Code de procédure civile, permet souvent de résoudre les conflits d'urbanisme en quelques semaines – là où un tribunal prendrait des années.

La saisine du préfet ou du tribunal n'est pas toujours nécessaire. Le commissaire de justice (ex-huissier de justice) intervient pour constater, mais le conciliateur, lui, cherche un accord. Voici le modèle de lettre, la procédure complète et les situations où cette voie amiable s'impose.

Sommaire

Qu'est-ce que le Conciliateur de Justice ?

Un bénévole nommé par la justice

Le conciliateur de justice est un auxiliaire de justice bénévole, nommé par le Premier président de la Cour d'appel. Sa mission : aider les parties à trouver un accord amiable sans passer par un procès. Gratuit, confidentiel, rapide – tout l'inverse d'une procédure contentieuse.

En matière d'urbanisme, le conciliateur intervient dans les litiges de voisinage :

Type de litige Exemples concrets
Violation du PLU Construction trop haute, non-respect des distances
Travaux sans autorisation Extension, abri, piscine non déclarés
Troubles de voisinage Vue directe, perte d'ensoleillement, bruit de chantier
Limites de propriété Empiètement, clôture contestée
Servitudes Droit de passage, écoulement des eaux

Cadre juridique

Le conciliateur de justice est régi par les articles 1536 à 1541 du Code de procédure civile. La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 (Justice du XXIe siècle) a renforcé son rôle en rendant la tentative de résolution amiable obligatoire avant certains contentieux.

Pour les litiges inférieurs à 5 000 €, la saisine préalable du conciliateur est obligatoire depuis le 1er janvier 2020 (décret n°2019-1333). Cela concerne de nombreux conflits d'urbanisme de voisinage.

Différence avec le médiateur et l'huissier

  • Le conciliateur : cherche un accord entre les parties (gratuit, proposé par la justice)
  • Le médiateur : même rôle mais souvent payant (honoraires de 50 à 150 €/heure)
  • L'huissier de justice (commissaire de justice depuis 2022) : constate les faits mais ne négocie pas. Un constat de commissaire de justice reste indispensable pour prouver l'affichage d'un permis ou documenter une infraction

Le constat d'huissier vient souvent avant la conciliation pour établir les preuves. Le conciliateur intervient ensuite pour tenter un accord.

Procédure de Saisine Complète

Étape 1 : Identifier le conciliateur compétent

Chaque canton dispose de plusieurs conciliateurs. Pour trouver celui qui couvre votre secteur :

  • Contactez le tribunal judiciaire de votre domicile
  • Consultez le site justice.fr
  • Demandez en mairie (les permanences y sont souvent organisées)

Les conciliateurs tiennent généralement des permanences hebdomadaires dans les mairies, tribunaux ou maisons de justice.

Étape 2 : Préparer votre dossier

Avant la saisine, constituez un dossier solide :

  • Preuves du litige : photos datées, constat de commissaire de justice si pertinent
  • Documents d'urbanisme : copie du permis ou de la déclaration préalable, plan de masse, extrait du PLU
  • Chronologie : dates des faits, des échanges avec le voisin
  • Échanges écrits : lettres simples, recommandés, SMS éventuels

Le plan de masse avec ses cotations obligatoires permet de visualiser les distances contestées. La différence entre plan de masse et plan de situation aide à comprendre l'implantation.

Étape 3 : Rédiger la saisine

Adressez une lettre au conciliateur de justice compétent :


[Vos nom et prénom]
[Votre adresse]
[Téléphone / Email]

M./Mme le Conciliateur de Justice
Permanences de [commune]
[Adresse du tribunal ou de la mairie]

[Lieu], le [date]

Objet : Demande de conciliation – Litige de voisinage en matière d'urbanisme

Madame, Monsieur le Conciliateur,

Je sollicite votre intervention dans le cadre d'un litige m'opposant à mon voisin, [M./Mme Nom], demeurant [adresse du voisin].

Exposé des faits :

Le [date], j'ai constaté que [description précise du problème : construction d'une extension de 25 m² sans autorisation / édification d'un mur de 2,50 m ne respectant pas la distance de 3 m imposée par le PLU / installation d'un abri de jardin en limite de propriété contrairement à l'article XX du PLU, etc.].

Cette situation me cause un préjudice direct : [préciser : perte d'ensoleillement sur ma terrasse / vue obstruée / dépréciation de mon bien estimée à X € par un agent immobilier, etc.].

J'ai tenté de résoudre ce différend à l'amiable par [courrier simple du XX/XX, discussions verbales, etc.] mais ces démarches n'ont pas abouti.

Ma demande :

Je souhaite parvenir à un accord amiable avec mon voisin, qui pourrait consister en :

  • [La modification des travaux pour respecter le PLU]
  • [Le versement d'une indemnisation compensant mon préjudice]
  • [La mise en conformité des travaux via une régularisation]
  • [Autre solution envisagée]

Je me tiens à votre disposition pour toute permanence et vous prie d'agréer, Madame, Monsieur le Conciliateur, l'expression de ma considération distinguée.

[Signature]

PJ : Photographies, plans, échanges écrits


Étape 4 : La convocation des parties

Le conciliateur vous contacte pour fixer un rendez-vous. Il convoque ensuite l'autre partie. La présence n'est pas obligatoire, mais refuser de se présenter est mal perçu – et cela figure au dossier si l'affaire va au tribunal.

Délai moyen entre saisine et première réunion : 3 à 6 semaines.

Étape 5 : La réunion de conciliation

La réunion se déroule généralement ainsi :

  1. Exposé de chaque partie (15-20 minutes chacune)
  2. Questions du conciliateur pour clarifier les points de désaccord
  3. Recherche de solutions : le conciliateur guide sans imposer
  4. Accord ou constat d'échec

Si accord, le conciliateur rédige un procès-verbal de conciliation qui a force exécutoire. Si échec, vous pouvez saisir le tribunal.

Cas Pratiques et Exemples

Cas n°1 : L'extension non conforme au PLU

Situation : M. Martin constate que son voisin a construit une extension de 30 m² à 2 mètres de la limite séparative, alors que le PLU impose 4 mètres.

Documents préparés : Plan de masse réalisé lui-même montrant les distances, photos comparatives, extrait du PLU article 7.

Conciliation : le voisin ignorait la règle du prospect. L'accord trouvé : le voisin dépose une demande de régularisation auprès de la mairie et, si refus, s'engage à réduire l'extension de 2 mètres dans un délai de 6 mois.

Coût évité : procédure au tribunal (avocat : 2 000-5 000 €, expert judiciaire : 1 500-3 000 €).

Cas n°2 : Le mur mitoyen trop haut

Situation : Mme Durand a fait construire un mur de clôture de 2,80 m, alors que le PLU limite la hauteur à 2 m sur voie et 2,20 m en limite séparative.

Préjudice : perte d'ensoleillement sur le jardin potager du voisin pendant 3 heures/jour en hiver.

Conciliation : Mme Durand accepte de réduire le mur à 2,20 m et d'installer des panneaux occultants en partie haute pour conserver son intimité. Accord signé, travaux réalisés en 2 mois.

Cas n°3 : L'abri de jardin en zone ABF

Situation : Un propriétaire installe un abri de jardin de 15 m² dans le périmètre d'un monument historique, sans demander l'autorisation à l'ABF. Le voisin signale l'infraction.

Conciliation : le propriétaire s'engage à déposer une déclaration préalable avec les plans nécessaires et à accepter les prescriptions de l'ABF (bardage bois au lieu de tôle). Si régularisation impossible, démontage de l'abri sous 3 mois.

Résultat : la déclaration préalable est accordée avec avis favorable de l'ABF. Le conflit est réglé sans procédure pénale.

Erreurs à Éviter

1. Saisir le conciliateur sans preuves

Arriver les mains vides affaiblit votre position. Un commissaire de justice peut établir un constat avant la conciliation – comptez 150 à 250 € pour une intervention simple. Sans preuve datée, votre parole contre celle du voisin n'a pas de valeur.

2. Demander une sanction au conciliateur

Le conciliateur ne punit pas, ne condamne pas, n'ordonne pas. Il cherche un accord. Si vous voulez une astreinte de 500 €/jour de retard comme le prévoit l'article L480-7 du Code de l'urbanisme, c'est le tribunal qu'il faut saisir, pas le conciliateur.

3. Refuser tout compromis

La conciliation implique des concessions mutuelles. Si vous exigez la démolition intégrale alors que le voisin propose une indemnisation substantielle, vous risquez de bloquer le processus – et de perdre au tribunal si le juge estime votre demande disproportionnée.

4. Négliger les délais de prescription

Les infractions d'urbanisme se prescrivent au bout de 6 ans (action pénale) et 10 ans (action civile). Trop attendre avant de réagir peut ruiner vos chances. Le passage par le conciliateur interrompt la prescription, mais encore faut-il agir à temps.

5. Omettre la tentative de conciliation obligatoire

Depuis 2020, pour les litiges de moins de 5 000 €, la tentative de conciliation préalable est obligatoire avant de saisir le tribunal (article 750-1 du Code de procédure civile). Saisir directement le juge sans justifier d'une tentative amiable conduit à l'irrecevabilité de la demande.

Questions Fréquentes

Le conciliateur peut-il intervenir pour un permis de construire contesté ?

Le conciliateur intervient dans les conflits entre particuliers, pas dans les recours contre l'administration. Si vous contestez un permis de construire délivré par la mairie, c'est un recours gracieux puis contentieux devant le tribunal administratif qu'il faut engager. En revanche, si le conflit vous oppose au bénéficiaire du permis (troubles de voisinage, non-respect du projet autorisé), le conciliateur peut intervenir. Pour prouver que le panneau de permis était bien affiché, un constat d'huissier ou commissaire de justice est recommandé avant toute contestation.

Constat huissier ou commissaire de justice : quelle différence ?

Depuis le 1er juillet 2022, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires ont fusionné pour devenir les « commissaires de justice ». Un constat de commissaire de justice a la même valeur probante que l'ancien constat d'huissier. Pour un litige d'urbanisme, ce professionnel constate les faits (infraction, affichage du panneau, état des lieux) mais ne négocie pas entre les parties – c'est le rôle du conciliateur. Comptez 200 à 400 € pour un constat complet avec plusieurs passages. Pour les plans obligatoires, le constat peut documenter les mesures réelles comparées au CERFA déposé.

Combien de temps dure une procédure de conciliation ?

En moyenne, comptez 2 à 3 mois entre la saisine et la signature d'un accord. Délai de convocation : 3-6 semaines. Nombre de réunions : 1 à 3 selon la complexité. Le conciliateur dispose de 3 mois pour mener à bien sa mission (renouvelable une fois). À comparer avec une procédure judiciaire : 12 à 24 mois minimum devant le tribunal judiciaire, 18 à 36 mois en appel. Pour un conflit portant sur une extension de 35 m² ou un mur de clôture, la conciliation fait gagner un temps considérable.

L’accord de conciliation est-il contraignant ?

Oui. Le procès-verbal de conciliation signé par les parties et le conciliateur peut être homologué par le juge pour avoir force exécutoire. Une fois homologué, l'accord a la même valeur qu'un jugement : si l'autre partie ne respecte pas ses engagements, vous pouvez demander l'exécution forcée via un commissaire de justice. Pour demander l'homologation, déposez une requête simple au tribunal judiciaire – c'est gratuit et rapide (quelques semaines). Après l'achèvement des travaux convenus, pensez à déposer la DAACT pour régulariser administrativement.

Que faire si la conciliation échoue ?

Le conciliateur délivre un constat d'échec. Ce document prouve que vous avez tenté une résolution amiable – condition obligatoire pour certains litiges. Vous pouvez alors saisir le tribunal judiciaire (litige civil entre voisins) ou le tribunal administratif (contestation d'un permis). L'échec de la conciliation n'est pas un handicap : le juge apprécie souvent que vous ayez fait l'effort d'une tentative amiable. Conservez le constat d'échec pour le joindre à votre assignation.

Conclusion

Le conciliateur de justice est le premier recours intelligent face à un litige d'urbanisme. Gratuit, rapide, confidentiel – il permet souvent de trouver un accord là où le tribunal prendrait des années. Extension non autorisée, mur trop haut, abri mal implanté : ces conflits de voisinage trouvent fréquemment une solution amiable quand les parties acceptent de discuter.

Préparez votre dossier avec soin : photos, plans de masse cotés, extraits du PLU, échanges écrits. Un constat de commissaire de justice renforce vos preuves. Ensuite, saisissez le conciliateur par courrier simple – pas besoin d'avocat.

En cas d'échec, le tribunal reste accessible. Mais dans 70 % des cas, la conciliation aboutit à un accord. Autant d'argent, de temps et d'énergie économisés pour toutes les parties.


Sources : Code de procédure civile (art. 1536-1541), Décret n°2019-1333, Service-public.fr, Ministry of Justice