Jurisprudence

Grèce : Constructions Illégales et Amnisties, un Système à Part

Grèce : Comment 1 Million de Constructions Illégales ont été Légalisées

Temps de lecture : 7 minutes

En Grèce, un tiers des bâtiments seraient construits sans permis ou en infraction aux règles d'urbanisme. Face à cette réalité, le pays a adopté une solution radicale : des lois d'amnistie permettant de régulariser les constructions illégales moyennant le paiement d'une taxe. Ce système, impensable en France, a légalisé plus d'un million de bâtiments. Décryptage d'un modèle unique en Europe.

Sommaire

  1. L'ampleur du phénomène
  2. Le système d'amnistie grec
  3. Pourquoi tant de constructions illégales ?
  4. La réaction de l'Europe
  5. Comparaison avec la France
  6. Questions fréquentes
  7. Conclusion

L'ampleur du phénomène

Des chiffres vertigineux

Les estimations officielles grecques sont stupéfiantes :

Indicateur Chiffre
Bâtiments totalement illégaux 500 000+
Bâtiments avec infractions partielles 1 000 000+
Surface concernée 200+ millions m²
% du parc immobilier 30-40%

Ces constructions vont de la simple véranda non déclarée à des immeubles entiers construits sans permis.

Géographie des infractions

Les zones les plus touchées :

  • Côtes et îles : constructions touristiques sauvages
  • Périphérie d'Athènes : urbanisation anarchique
  • Zones forestières : constructions après incendies
  • Zones archéologiques : empiètements sur sites protégés

Les îles grecques, avec leur développement touristique rapide, concentrent une part importante des infractions.

Le système d'amnistie grec

Les lois de régularisation

Depuis les années 1980, la Grèce a voté plusieurs lois d'amnistie :

Loi Année Bâtiments régularisés
Loi 1337 1983 300 000
Loi 3843 2010 500 000
Loi 4014 2011 400 000
Loi 4495 2017 En cours

La dernière loi (4495/2017) a étendu le système en créant un "certificat de tolérance" valable 30 ans pour les constructions antérieures à 2004.

Comment ça fonctionne ?

Le propriétaire d'une construction illégale peut demander une régularisation :

  1. Déclaration : description de l'infraction
  2. Diagnostic : relevé par un ingénieur agréé
  3. Taxe : calcul selon surface et type d'infraction
  4. Certificat : document officiel de "tolérance"

La taxe varie de 500 à 15 000 € selon la surface et la gravité de l'infraction. Elle peut être payée en 60 mensualités.

Ce qui n'est pas régularisable

Certaines constructions restent hors du champ de l'amnistie :

  • Constructions en zone Natura 2000 (depuis 2011)
  • Empiètements sur domaine public (plages, rivières)
  • Constructions menaçant la sécurité publique
  • Bâtiments en zones à risque d'effondrement

Les démolitions, bien que prévues par la loi, restent rares.

Pourquoi tant de constructions illégales ?

Facteurs historiques

La Grèce moderne a connu une urbanisation chaotique :

  • 1950-1970 : exode rural massif vers Athènes et Thessalonique
  • 1974 : chute de la dictature, relâchement du contrôle
  • 1980-2000 : boom touristique sur les côtes
  • 2004 : Jeux olympiques, constructions précipitées

L'administration grecque, sous-dotée, n'a jamais eu les moyens de contrôler efficacement.

Facteurs culturels

Une certaine tolérance sociale envers l'infraction :

  • Propriété familiale : construire pour ses enfants est une norme
  • Méfiance envers l'État : le permis est vu comme une taxe de plus
  • Corruption locale : fermeture des yeux moyennant bakchich
  • Amnisties répétées : incitation à construire en attendant la prochaine

Facteurs économiques

  • Terrain agricole bon marché transformé en constructible
  • Économie informelle importante (travail au noir)
  • Pression touristique sur le littoral
  • Spéculation immobilière

La réaction de l'Europe

Critiques de la Commission

L'Union européenne a plusieurs fois critiqué le système grec :

  • 2003 : condamnation pour non-protection des zones Natura 2000
  • 2012 : menaces de sanctions pour amnistie en zone protégée
  • 2019 : mise en demeure sur les constructions littorales

La Grèce risque des amendes européennes pour non-conformité aux directives environnementales.

L'exception grecque

Aucun autre pays européen n'a un système comparable. Les amnisties ponctuelles existent (Italie, Espagne) mais pas cette régularisation permanente et systématique.

La Grèce est le seul pays de l'UE où un certificat de "tolérance" d'une construction illégale a valeur légale pour la vente, l'hypothèque ou la succession.

Comparaison avec la France

Pas d'amnistie en France

En France, une construction illégale reste illégale. Il n'existe pas de procédure d'amnistie collective. Les seules solutions sont :

  • Régularisation : déposer un permis a posteriori (si conforme au PLU actuel)
  • Prescription : 6 ans pénal, 10 ans civil
  • Démolition : ordonnée par le juge

La prescription n'efface pas l'illégalité : elle empêche seulement les poursuites pénales. Le bien reste juridiquement "fragile" (difficulté de vente, d'assurance, de prêt).

Les chiffres français

La France compte aussi des constructions illégales, mais à une échelle bien moindre :

Type d'infraction Estimation
Extensions non déclarées 500 000+
Changements de destination 100 000+
Constructions sans permis 50 000+

Le contrôle est plus efficace : les recours des voisins et le contrôle de légalité préfectoral détectent la plupart des infractions.

Ce qu'on peut apprendre

Le modèle grec, critiquable sur le plan environnemental, pose une vraie question : que faire des millions de mètres carrés construits en infraction ?

La France a choisi la fermeté (pas d'amnistie) mais doit gérer des situations de fait. Le délai d'instruction d'une régularisation est le même que pour un permis normal. La durée de validité aussi.

Questions fréquentes

Peut-on acheter une maison non déclarée en Grèce ?

Oui, grâce au certificat de "tolérance". Depuis 2011, toute vente immobilière doit être accompagnée d'un certificat attestant soit de la légalité de la construction, soit de sa régularisation via les lois d'amnistie. Ce certificat permet de signer l'acte notarié et de contracter un prêt bancaire. Sans lui, la vente est juridiquement nulle.

Combien coûte la régularisation en Grèce ?

La taxe de régularisation varie selon la surface et la nature de l'infraction. Pour une extension non déclarée de 30 m² en zone urbaine, comptez 1 000 à 2 000 €. Pour une maison entière construite sans permis (100 m²), la taxe peut atteindre 8 000 à 15 000 €. Le paiement échelonné sur 60 mois est possible. Des réductions s'appliquent aux faibles revenus.

La France pourrait-elle adopter un système similaire ?

C'est juridiquement et politiquement improbable. La Constitution française protège fortement le droit de l'urbanisme. Une amnistie générale serait contraire aux principes de légalité et d'égalité devant la loi. Elle encouragerait les infractions futures et compromettrait les politiques environnementales. La France préfère la régularisation au cas par cas pour les projets devenus conformes au PLU.

Conclusion

Le système grec d'amnistie des constructions illégales est unique en Europe. Il a permis de régulariser plus d'un million de bâtiments et d'éviter des démolitions massives. Mais ce pragmatisme a un coût : dégradation des paysages, pression sur l'environnement, et sentiment d'impunité qui encourage de nouvelles infractions.

Les points clés à retenir :

  1. 30-40% du parc immobilier grec est concerné par des irrégularités
  2. Les amnisties permettent une régularisation moyennant taxe
  3. L'Europe critique mais ne sanctionne pas vraiment
  4. La France n'a pas de système comparable
  5. La prescription française (6/10 ans) n'est pas une amnistie

Avant d'acheter un bien en Grèce, vérifiez systématiquement le certificat de conformité ou de régularisation. En France, consultez le PLU de votre zone constructible avant tout projet pour éviter de vous retrouver dans l'illégalité.


Sources : Ministère grec de l'Environnement, Commission européenne, Le Monde, Courrier international