Fruits Tombés de l'Arbre du Voisin : À Qui Appartiennent-ils ?
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Le pommier du voisin croule sous les fruits, dont la moitié tombe dans votre jardin. Pouvez-vous les ramasser et en faire des compotes ? La réponse, inscrite dans le Code civil depuis 1804, surprend souvent : les fruits tombés naturellement vous appartiennent. Mais attention aux subtilités ! Cueillir directement sur les branches qui dépassent est une tout autre affaire. Entre le droit de propriété du voisin sur son arbre, vos droits sur votre terrain, et les règles d'élagage, les relations de voisinage autour des arbres fruitiers génèrent de nombreux conflits. Voici les règles à connaître pour éviter les contentieux et profiter sereinement des fruits du… voisin.
Sommaire
- La règle des fruits tombés : ce que dit le Code civil
- Ce que vous pouvez (et ne pouvez pas) faire
- Cas pratiques et situations courantes
- Erreurs à éviter
- Questions fréquentes
- Conclusion
La règle des fruits tombés : ce que dit le Code civil
Le principe de base : les fruits tombés vous appartiennent
L'article 673 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2023, établit une règle simple : "Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent."
"Lui", c'est le propriétaire du terrain sur lequel les fruits sont tombés. Concrètement, si les pommes du pommier de votre voisin tombent dans votre jardin, elles vous appartiennent de plein droit. Vous pouvez les ramasser, les consommer, en faire des confitures ou les vendre au marché. Le propriétaire de l'arbre n'a aucun droit sur ces fruits.
Cette règle repose sur un principe logique : une fois au sol, le fruit est incorporé à votre terrain, comme les feuilles mortes ou les branches cassées. Il fait partie de votre propriété.
La limite stricte : ne pas cueillir sur les branches
Le même article 673 pose une limite claire : vous n'avez pas le droit de cueillir les fruits sur les branches, même celles qui surplombent votre terrain. Les fruits encore attachés à l'arbre appartiennent au propriétaire de l'arbre.
Grimper à l'échelle pour cueillir les cerises qui pendent au-dessus de votre pelouse ? C'est du vol, punissable pénalement. Secouer l'arbre pour faire tomber les fruits ? C'est une manœuvre pour s'approprier le bien d'autrui, également répréhensible.
La frontière est nette : tombé naturellement = à vous / encore attaché = au voisin.
Les règles d'élagage : votre recours face aux branches envahissantes
Si les branches du voisin vous gênent (ombre, feuilles, fruits pourris), l'article 673 vous donne un recours : vous pouvez exiger que le propriétaire voisin coupe les branches qui avancent sur votre terrain.
Procédure :
- Demande amiable (courrier simple puis recommandé)
- En cas de refus : saisine du tribunal judiciaire
- Le juge peut ordonner l'élagage sous astreinte
Nouveauté 2023 : La loi du 20 novembre 2023 a simplifié la procédure. Désormais, après mise en demeure restée sans effet pendant 1 mois, vous pouvez procéder vous-même à l'élagage des branches dépassant chez vous, à vos frais, sans saisir le tribunal. C'est une avancée majeure qui évite des années de procédure pour quelques branches.
Cette situation de voisinage est comparable aux conflits qui naissent des projets de construction. Si votre voisin peut contester votre permis de construire, il ne peut en revanche pas vous empêcher de ramasser les fruits tombés chez vous.
Les racines : règle différente
Contrairement aux branches, vous pouvez couper vous-même les racines qui pénètrent sur votre terrain, sans autorisation du voisin et sans mise en demeure préalable. L'article 673 est clair : "Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut les faire couper. Celui sur la propriété duquel avancent les racines peut les couper lui-même."
Cette différence s'explique par le fait que les branches peuvent être élaguées par le propriétaire depuis son terrain, alors que les racines ne peuvent être atteintes que par le voisin impacté.
Ce que vous pouvez (et ne pouvez pas) faire
Ce que vous POUVEZ faire sans autorisation
Concernant les fruits :
- Ramasser tous les fruits tombés naturellement sur votre terrain
- Les consommer, les transformer, les vendre
- Les laisser pourrir si vous n'en voulez pas (mais gare aux nuisibles)
Concernant les branches (depuis la loi de 2023) :
- Exiger du voisin qu'il élague les branches débordantes
- Après mise en demeure de 1 mois sans réponse : élaguer vous-même
- Conserver le bois coupé (mais il appartient toujours au voisin qui peut le réclamer)
Concernant les racines :
- Les couper vous-même, sans autorisation ni mise en demeure
- Réparer les dégâts qu'elles causent (soulèvement de terrasse, canalisation percée)
Ce que vous NE POUVEZ PAS faire
Interdit absolu :
- Cueillir les fruits sur les branches (même celles au-dessus de chez vous)
- Secouer l'arbre pour faire tomber les fruits
- Couper les branches vous-même AVANT la mise en demeure de 1 mois
- Empoisonner ou endommager l'arbre du voisin
- Pénétrer chez le voisin pour accéder à l'arbre
Attention aux dommages :
Si en coupant les branches autorisées, vous endommagez l'arbre au-delà du strict nécessaire, vous engagez votre responsabilité. Faites appel à un professionnel pour les élagages importants.
Tableau récapitulatif des droits
| Situation | Votre droit | Procédure |
|---|---|---|
| Fruits tombés sur votre terrain | Propriété totale | Ramasser librement |
| Fruits sur les branches | Aucun | Attendre qu'ils tombent |
| Branches débordantes | Exiger l'élagage | Mise en demeure → 1 mois → élagage possible |
| Racines envahissantes | Couper vous-même | Aucune autorisation requise |
| Feuilles mortes tombées | Aucune obligation du voisin | Vous devez les ramasser |
Cas pratiques et situations courantes
Exemple 1 : Le cerisier prolifique
Situation : Le cerisier de votre voisin dépasse largement chez vous. Pendant la saison, des kilos de cerises tombent dans votre jardin, attirant guêpes et oiseaux.
Vos droits :
- Ramasser et consommer toutes les cerises tombées
- Exiger du voisin qu'il élague les branches débordantes
Ce que vous ne pouvez pas faire :
- Cueillir les cerises sur les branches
- Exiger que le voisin ramasse les cerises pourries (c'est votre terrain)
Solution pratique : Proposez au voisin un accord : vous lui permettez de venir cueillir ses cerises sur les branches qui dépassent, en échange d'un partage de la récolte. Tout le monde y gagne.
Exemple 2 : Les noix qui abîment les voitures
Situation : Un noyer centenaire surplombe le chemin d'accès à votre garage. Les noix tombent sur vos véhicules et causent des bosses.
Analyse : Les noix tombées vous appartiennent (maigre consolation). Le voisin n'est pas responsable des dommages causés par la chute naturelle des fruits d'un arbre planté dans les règles.
Recours possibles :
- Exiger l'élagage des branches qui surplombent (mise en demeure puis élagage)
- Installer un auvent de protection
- Négocier avec le voisin une participation aux frais de protection
Coût indicatif : Élagage d'un grand noyer par un professionnel : 500 à 1 500 €.
Exemple 3 : Le pêcher et le recours des tiers
Situation : Vous souhaitez construire une extension de 20 m² au fond de votre jardin. Le pêcher du voisin, mal placé (à 1 mètre de la limite au lieu de 2 m), fait de l'ombre sur votre futur projet.
Analyse : L'arbre ne respecte pas la distance légale de plantation (2 m pour les arbres de plus de 2 m de haut – article 671 Code civil). Vous pouvez exiger son arrachage ou sa réduction à 2 m de hauteur.
Procédure : Mise en demeure par courrier recommandé, puis saisine du tribunal si refus.
Astuce : Profitez de la discussion pour négocier également l'élagage des branches qui déborderaient sur votre future extension.
Erreurs à éviter
Erreur 1 : Cueillir sur les branches "puisqu'elles sont au-dessus de chez moi"
La branche appartient à l'arbre, l'arbre appartient au voisin. Même la partie qui surplombe votre terrain reste la propriété du riverain. Cueillir dessus, c'est du vol. La règle est contre-intuitive mais absolue.
Erreur 2 : Couper les branches sans mise en demeure préalable
Depuis 2023, vous pouvez couper les branches vous-même, mais UNIQUEMENT après une mise en demeure restée sans effet pendant 1 mois. Couper avant ce délai engage votre responsabilité. Conservez la preuve de votre mise en demeure (recommandé AR).
Erreur 3 : Jeter les fruits pourris chez le voisin
Les fruits tombés sont devenus votre propriété, y compris les fruits pourris. Les jeter par-dessus la clôture constitue un dépôt de déchets sur le terrain d'autrui, passible de poursuites. Compostez-les ou jetez-les avec vos déchets verts.
Erreur 4 : Réclamer au voisin le ramassage des feuilles
Les feuilles mortes tombées sur votre terrain sont votre problème, pas celui du voisin. Aucune obligation légale ne lui impose de ramasser les feuilles de son arbre chez vous. C'est une servitude naturelle que vous devez supporter, comme pour les recours des tiers qui font partie de la vie en société.
Erreur 5 : Endommager volontairement l'arbre
Verser du désherbant sur les racines, entailler l'écorce, empoisonner l'arbre… Ces comportements constituent des destructions de bien appartenant à autrui, passibles de poursuites pénales (jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende). Même excédé par un arbre envahissant, passez par les voies légales.
Questions fréquentes
Puis-je cueillir les fruits sur les branches qui dépassent chez moi ?
Non. Les fruits encore attachés à l'arbre appartiennent au propriétaire de l'arbre, même sur les branches qui surplombent votre terrain. Vous devez attendre qu'ils tombent naturellement. Cueillir sans autorisation constitue un vol. En revanche, depuis la loi de 2023, vous pouvez couper les branches après mise en demeure d'1 mois restée sans effet. Le bois et les fruits coupés reviennent au propriétaire de l'arbre, mais vous pouvez les conserver s'il ne les réclame pas.
Les fruits tombés m’appartiennent-ils vraiment ?
Oui, c'est l'article 673 du Code civil : "Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent" (au propriétaire du terrain où ils sont tombés). Vous pouvez les ramasser, les consommer, les vendre. Le propriétaire de l'arbre n'a aucun droit sur ces fruits. Attention : "tombés naturellement" signifie sans intervention de votre part. Si vous secouez l'arbre pour faire tomber les fruits, c'est une appropriation frauduleuse.
Mon voisin peut-il refuser de couper ses branches ?
Légalement non, mais en pratique il peut ignorer vos demandes. Dans ce cas : (1) envoyez une mise en demeure par lettre recommandée ; (2) après 1 mois sans réponse, vous pouvez couper vous-même les branches qui dépassent chez vous ; (3) si vous préférez que le voisin le fasse à ses frais, saisissez le tribunal judiciaire. Avant la loi de 2023, il fallait obligatoirement passer par le tribunal. Désormais, l'auto-élagage après mise en demeure est possible.
Qui paie les frais d’élagage des branches débordantes ?
Si le voisin élague de son propre chef ou sur ordonnance du tribunal : il paie. Si vous élaguer vous-même après mise en demeure : vous payez (la loi de 2023 précise "à ses frais", c'est-à-dire aux vôtres). C'est le prix à payer pour éviter une procédure judiciaire. Pour un recours gracieux en déclaration préalable, les frais sont également à la charge du demandeur. Dans tous les cas, anticipez le budget : élagage professionnel = 100-500 € selon l'arbre.
L’arbre du voisin fait de l’ombre sur mes panneaux solaires. Quels recours ?
Si l'arbre respecte les distances légales de plantation (2 m pour arbres > 2 m, 50 cm pour les autres), vous n'avez aucun recours pour cause d'ombre. Le voisin exerce légalement son droit de propriété. En revanche, vous pouvez : (1) exiger l'élagage des branches qui dépassent chez vous (mais pas de l'arbre entier) ; (2) si l'arbre est trop proche de la limite, demander son arrachage ou sa réduction à 2 m de hauteur. Consultez le PLU de votre commune : certains imposent des règles spécifiques sur les plantations.
Les fruits pourris qui tombent chez moi sont-ils de la responsabilité du voisin ?
Non. Une fois tombés sur votre terrain, les fruits (même pourris) vous appartiennent et sont votre responsabilité. Vous devez les ramasser et les éliminer. Le voisin n'a aucune obligation de nettoyage chez vous. C'est une servitude naturelle liée au voisinage. Seul recours : demander l'élagage des branches pour réduire la quantité de fruits qui tombent. Pour des situations similaires de troubles de voisinage liés à des travaux, un recours gracieux contre un permis de construire suit une logique différente.
Puis-je couper les racines de l’arbre du voisin qui soulèvent ma terrasse ?
Oui. Contrairement aux branches, les racines peuvent être coupées sans autorisation ni mise en demeure. L'article 673 du Code civil vous y autorise expressément. Attention toutefois : si la coupe des racines fait mourir l'arbre ou le déstabilise, votre responsabilité pourrait être engagée pour abus de droit. Faites intervenir un professionnel qui saura couper sans compromettre la survie de l'arbre. Pour les dégâts déjà causés (terrasse soulevée), vous pouvez demander des dommages-intérêts au propriétaire.
Conclusion
La règle est simple à retenir : tombé = à vous, attaché = au voisin. Les fruits qui tombent naturellement sur votre terrain vous appartiennent entièrement. Mais vous n'avez pas le droit de cueillir sur les branches, même celles qui surplombent votre jardin.
La loi de novembre 2023 a simplifié les relations de voisinage : après une simple mise en demeure d'un mois, vous pouvez désormais couper vous-même les branches débordantes sans passer par le tribunal. Une avancée significative pour éviter des années de procédure pour quelques branches de pommier.
Ces règles du Code civil s'appliquent indépendamment des règles d'urbanisme. Un arbre planté sans respecter les distances peut faire l'objet d'un arrachage, mais cela relève d'un recours différent des questions d'autorisation de construire.
Avant tout conflit, privilégiez le dialogue. Un accord de bon voisinage sur le partage des récoltes ou l'entretien de l'arbre vaut mieux qu'une procédure judiciaire qui empoisonnera vos relations pour des années. Et si vraiment le conflit s'envenime, les informations pratiques sur les recours vous aideront à faire valoir vos droits.
Sources : Code civil articles 671-673, Loi n°2023-973 du 20 novembre 2023, Legifrance
