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Mark Zuckerberg : son compound à Hawaii controversé

Mark Zuckerberg : son compound à Hawaii, leçons d'urbanisme

Temps de lecture : 9 minutes

Mark Zuckerberg, fondateur de Meta, a fait construire un complexe résidentiel de 560 hectares sur l'île de Kauai, à Hawaii. Murs d'enceinte de 2 mètres, bunker souterrain de 450 m², système énergétique autonome : ce "compound" a déclenché une polémique mondiale. Au-delà du buzz médiatique, cette affaire pose des questions concrètes d'urbanisme. Comment un tel projet a-t-il été autorisé ? Quelles règles s'appliquent aux propriétés géantes ? Et en France, un milliardaire pourrait-il construire un tel complexe ? Analyse d'un cas d'école qui interroge les limites du droit de construire.

Sommaire

Le projet Zuckerberg à Hawaii

560 hectares sur l'île de Kauai

Entre 2014 et 2022, Mark Zuckerberg a acquis progressivement 560 hectares de terres sur l'île de Kauai, dans l'archipel d'Hawaii. Le domaine comprend une plage privée, des terres agricoles, et plusieurs propriétés existantes qu'il a rénovées ou reconstruites. L'investissement total dépasserait 270 millions de dollars.

Les constructions recensées

Le complexe comprend :

  • Deux résidences principales de plus de 500 m² chacune
  • Un bunker souterrain de 450 m², autonome en énergie et eau
  • Un mur d'enceinte de 1,80 à 2 mètres de hauteur sur plusieurs kilomètres
  • Un système de tunnels reliant les différentes structures
  • Des installations agricoles (ferme, élevage)
  • Un système énergétique solaire et éolien pour l'autonomie
  • Un réseau de surveillance avec caméras et capteurs

Les autorisations obtenues

Le projet a nécessité de nombreuses autorisations locales :

  • Permis de construire (Building Permits) pour chaque structure
  • Autorisation d'usage des terres agricoles (Land Use)
  • Permis environnementaux (zones côtières protégées)
  • Autorisations spéciales pour les structures souterraines

La plupart de ces autorisations ont été accordées sans difficultés majeures, soulevant des questions sur l'influence des moyens financiers sur les procédures administratives.

Les controverses soulevées

L'acquisition des terres : une histoire compliquée

Certaines parcelles du domaine Zuckerberg appartenaient à des familles hawaiiennes depuis des générations. Le système foncier hawaiien, hérité de l'époque des plantations, a créé des situations complexes où plusieurs familles détiennent des parts indivises d'un même terrain.

Zuckerberg a engagé des procédures judiciaires (quiet title actions) pour forcer la vente de ces parts. Face à la polémique, il a finalement abandonné certaines procédures et proposé des rachats à l'amiable.

Le mur d'enceinte : symbole de privatisation

Le mur de 2 mètres a cristallisé les critiques. À Hawaii, la tradition culturelle valorise l'accès libre aux plages et aux chemins côtiers. Ce mur, perçu comme une barrière symbolique, a été interprété comme une appropriation de l'espace public par un milliardaire continental.

En réponse, Zuckerberg a maintenu des accès publics aux plages, conformément à la loi hawaiienne. Mais le sentiment d'exclusion persiste.

Le bunker : préparationnisme de luxe

La révélation de l'existence d'un bunker de 450 m² a alimenté les théories sur le "préparationnisme" des ultra-riches. Ce refuge autonome, capable de fonctionner plusieurs mois sans connexion extérieure, interroge sur les inégalités face aux crises (climatiques, sanitaires, sociales).

L'impact environnemental

Le chantier a mobilisé des centaines d'ouvriers et généré un trafic important sur une île connue pour sa fragilité écologique. Les associations environnementales ont dénoncé l'artificialisation des sols, même si une partie du domaine reste en exploitation agricole.

L'urbanisme à Hawaii : un cadre permissif

Le système de zonage américain

Aux États-Unis, l'urbanisme relève des États et des comtés. Hawaii utilise un système de zonage (zoning) qui classe les terrains par usage :

  • Zones résidentielles (densités variables)
  • Zones agricoles
  • Zones de conservation
  • Zones urbaines

Le domaine Zuckerberg est principalement classé en zone agricole, ce qui autorise les constructions liées à l'exploitation (fermes, logements de travailleurs) et les résidences du propriétaire exploitant.

Les variances et exceptions

Le système américain permet d'obtenir des "variances" (dérogations) pour des projets non conformes au zonage. Ces dérogations sont accordées par des commissions locales (Planning Commission) après audition publique. Les moyens financiers permettent d'engager les meilleurs avocats et consultants pour présenter des dossiers solides.

La notion de "Agricultural Dwelling"

À Hawaii, un propriétaire de terres agricoles peut construire une résidence sur son exploitation. Cette disposition, destinée à faciliter la vie des agriculteurs, est parfois détournée par des propriétaires fortunés qui maintiennent une activité agricole minimale pour justifier des constructions résidentielles importantes.

Le domaine Zuckerberg comprend effectivement une exploitation agricole (élevage, cultures), ce qui légitime les résidences principales au titre du "agricultural dwelling".

Un tel projet serait-il possible en France ?

Le cadre réglementaire français

En France, un tel projet se heurterait à plusieurs obstacles majeurs :

Le PLU : En zone agricole (A) ou naturelle (N), la constructibilité est strictement limitée. Seules les constructions nécessaires à l'exploitation agricole sont autorisées. Une résidence de 500 m² serait difficilement justifiable.

Le permis de construire : Tout projet de cette ampleur nécessiterait des permis multiples, instruits par les services de l'État (DDT) pour les zones sensibles. Les délais d'instruction seraient considérables.

L'obligation d'architecte : Au-delà de 150 m² de surface de plancher, l'architecte est obligatoire. Pour un complexe de plusieurs milliers de m², une équipe complète serait nécessaire.

Les zones protégées : Les équivalents français du littoral hawaiien (loi Littoral, espaces remarquables, sites classés) imposent des contraintes drastiques. Un mur de 2 mètres en bord de mer serait quasi-impossible à autoriser.

Les constructions souterraines

En France, les constructions souterraines sont soumises aux mêmes règles que les constructions en élévation. Un bunker de 450 m² nécessiterait un permis de construire avec toutes les pièces graphiques : plans de masse, plans de coupe, notice descriptive.

Les zones à risques (inondation, cavités, sols pollués) font l'objet de prescriptions spécifiques dans les Plan de Prévention des Risques (PPR).

Les clôtures et murs

Les règles françaises sur les clôtures varient selon les communes. Le PLU peut imposer :

  • Une hauteur maximale (souvent 2 m, parfois moins en zone protégée)
  • Des matériaux spécifiques (végétal, bois, pierre locale)
  • Des couleurs imposées
  • Une déclaration préalable obligatoire

Un mur de 2 mètres sur plusieurs kilomètres nécessiterait des autorisations multiples et pourrait être refusé pour atteinte au paysage.

Le cas des grands domaines français

Des propriétés de plusieurs centaines d'hectares existent en France (châteaux, domaines viticoles, grandes exploitations). Mais leur développement est encadré :

  • Les constructions nouvelles sont limitées
  • Les rénovations doivent respecter le patrimoine existant
  • L'ABF (Architecte des Bâtiments de France) intervient souvent
  • Les enquêtes publiques sont obligatoires pour les projets importants

Un milliardaire français ou étranger souhaitant créer un "compound" à la Zuckerberg devrait composer avec ces contraintes, quels que soient ses moyens financiers.

Les enseignements pour les propriétaires français

L'importance du zonage

Le cas Zuckerberg illustre l'importance du zonage. Avant tout projet, consultez le PLU de votre commune. Le zonage détermine ce qui est possible ou non, indépendamment de vos moyens.

Les zones agricoles ne sont pas constructibles

En France, posséder des terres agricoles ne donne pas le droit d'y construire une résidence. Le "agricultural dwelling" américain n'existe pas. Seuls les agriculteurs professionnels peuvent obtenir des dérogations pour des logements liés à l'exploitation, et dans des conditions strictes.

Les procédures sont les mêmes pour tous

Contrairement aux États-Unis où les moyens financiers peuvent accélérer les procédures, la France applique les mêmes délais d'instruction à tous. Un milliardaire attend 2-3 mois pour son permis de construire, comme n'importe quel particulier.

L'argent ne fait pas tout

Les refus de permis touchent aussi les projets ambitieux. Des célébrités ont vu leurs projets refusés ou modifiés par l'ABF en zone protégée. L'administration française résiste aux pressions, du moins en théorie.

Anticiper les recours

Plus un projet est visible, plus il risque d'être contesté. Les voisins, les associations, les riverains peuvent former des recours. Un délai de 2 mois court après l'affichage du permis. Des projets importants peuvent faire l'objet de contentieux pendant des années.

Erreurs à éviter

1. Croire que l'argent permet tout

En France, la réglementation s'applique à tous. Un projet non conforme au PLU sera refusé, quel que soit le budget. Consultez les règles AVANT de concevoir votre projet.

2. Sous-estimer les zones protégées

Littoral, monuments historiques, sites classés, AVAP : les zones protégées imposent des contraintes lourdes. L'avis de l'ABF peut transformer radicalement un projet. Anticipez ces contraintes dès la phase de conception.

3. Négliger le voisinage

Le cas Zuckerberg montre que l'acceptation sociale compte. Un projet mal perçu par les riverains générera des recours, des pétitions, de la mauvaise publicité. Dialoguez, expliquez, adaptez si nécessaire.

4. Fragmenter artificiellement les demandes

Certains propriétaires déposent plusieurs petits projets successifs pour éviter les procédures lourdes. Cette tactique est connue des services d'urbanisme qui peuvent requalifier l'ensemble en projet unique, exigeant un permis global.

5. Oublier les constructions souterraines

Un bunker, une cave, un parking souterrain créent de la surface de plancher. Ils nécessitent les mêmes autorisations qu'une construction en surface. Ne les omettez pas de votre demande.

Questions fréquentes

Peut-on construire un bunker en France ?

Oui, sous réserve d'obtenir les autorisations nécessaires. Un bunker est une construction comme une autre, soumise au Code de l'urbanisme. Si la surface dépasse 20 m², un permis de construire est requis. Le dossier doit inclure les plans en coupe montrant l'implantation souterraine, la notice descriptive des matériaux, et l'impact sur les réseaux. En zone protégée, l'avis de l'ABF peut être requis même pour une construction enterrée.

Quelle est la hauteur maximale d’un mur de clôture en France ?

La hauteur maximale varie selon les communes. L'article 663 du Code civil fixe un minimum de 2,60 m en ville et 2 m ailleurs, mais le PLU peut imposer des hauteurs inférieures (souvent 1,80 m ou 2 m maximum). En zone protégée, des prescriptions supplémentaires s'appliquent : matériaux, couleurs, transparence. Consultez le règlement de votre zone dans le PLU avant tout projet de clôture.

Un milliardaire peut-il acheter des centaines d’hectares en France ?

Oui, l'acquisition de terres n'est pas limitée en surface. Cependant, pour les terres agricoles, la SAFER (Société d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural) dispose d'un droit de préemption. Elle peut acquérir les terres en priorité pour les redistribuer à des agriculteurs. Ce droit s'exerce rarement pour les très grands domaines, mais il existe. Par ailleurs, posséder des terres ne donne pas le droit d'y construire librement.

Peut-on privatiser une plage en France ?

Non. En France, le domaine public maritime (bande de 3 mètres minimum au-dessus de la laisse de haute mer) est inaliénable et imprescriptible. Personne ne peut se l'approprier. Les concessions de plage existent (restaurants, clubs) mais ne permettent pas de restreindre l'accès au public. La loi Littoral protège également la libre circulation sur le littoral et interdit les constructions à moins de 100 m du rivage.

Les constructions de Zuckerberg sont-elles légales ?

À Hawaii, oui. Les permis ont été obtenus conformément au droit local. Le système américain est plus permissif que le français, notamment pour les constructions en zone agricole. Les controverses portent davantage sur les méthodes d'acquisition des terres et l'impact social du projet que sur sa légalité urbanistique. En France, un projet similaire rencontrerait des obstacles réglementaires bien plus importants.

Conclusion

Le compound de Mark Zuckerberg à Hawaii fascine et inquiète. Il illustre les possibilités offertes par un système urbanistique permissif à ceux qui en ont les moyens. En France, un tel projet serait considérablement plus difficile à réaliser : zonage strict, protection du littoral, droit de préemption agricole, contraintes patrimoniales.

Cette différence reflète deux visions de l'urbanisme. Le modèle américain privilégie la liberté du propriétaire, quitte à créer des enclaves privées. Le modèle français protège davantage l'intérêt collectif, au prix d'une moindre flexibilité individuelle.

Pour votre projet, quelle que soit son ampleur, retenez l'essentiel : consultez le PLU, respectez les procédures, anticipez les contraintes. L'argent peut acheter des hectares, mais pas le droit de s'affranchir des règles. Et c'est peut-être mieux ainsi.


Sources : Wired Magazine, Hawaii Land Use Commission, Legifrance, Service-public.fr