Code Civil vs Code de l'Urbanisme : Lequel Prime pour Votre Projet ?
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Vous avez obtenu votre permis de construire et vous vous apprêtez à lancer les travaux. Mais votre voisin vous informe que votre projet viole les règles de distance du Code civil. Surprise : le permis ne vous protège pas. Cette situation touche des milliers de particuliers chaque année. Le Code de l'urbanisme et le Code civil régissent tous deux la construction, mais de manière indépendante. L'un autorise votre projet d'un point de vue administratif, l'autre encadre les relations entre propriétaires voisins. Ignorer cette dualité peut mener à la démolition d'un ouvrage pourtant autorisé par la mairie. Cette page clarifie l'articulation entre ces deux corpus juridiques et vous permet de sécuriser votre projet.
Sommaire
- Deux droits distincts et complémentaires
- Ce que contrôle le Code de l'urbanisme
- Ce que contrôle le Code civil
- L'articulation entre les deux codes
- Cas pratiques : quand le conflit surgit
- Erreurs à éviter
- Questions fréquentes
- Conclusion
Deux droits distincts et complémentaires
Le Code de l'urbanisme : le droit public
Le Code de l'urbanisme relève du droit public. Il organise l'occupation des sols sur le territoire national. Son objectif ? Garantir un développement harmonieux des communes, protéger l'environnement, préserver le patrimoine et assurer la sécurité publique.
Les règles d'urbanisme sont opposables à tous. Elles définissent :
- Les zones constructibles et inconstructibles
- Les hauteurs maximales des constructions
- Les distances par rapport aux voies publiques
- L'aspect extérieur des bâtiments
- Les seuils de surface nécessitant un permis de construire ou une déclaration préalable
Quand vous déposez une demande d'autorisation, l'instructeur vérifie exclusivement la conformité au PLU, au Règlement National d'Urbanisme (RNU) et aux différentes servitudes d'utilité publique. Rien d'autre.
Le Code civil : le droit privé
Le Code civil régit les relations entre personnes privées. Concernant la construction, il traite principalement :
- Le droit de propriété (articles 544 et suivants)
- Les servitudes de vues (articles 678-680)
- Les servitudes de passage
- Le bornage et les distances de plantations
- Les règles de mitoyenneté (articles 653-673)
Ces règles s'appliquent entre voisins, indépendamment de ce qu'autorise le Code de l'urbanisme. Un voisin peut parfaitement attaquer votre construction devant le tribunal judiciaire même si vous disposez d'un permis de construire en bonne et due forme.
Deux compétences distinctes
| Critère | Code de l'urbanisme | Code civil |
|---|---|---|
| Nature | Droit public | Droit privé |
| Autorité | Maire, préfet, État | Tribunal judiciaire |
| Objet | Intérêt général, aménagement | Relations entre particuliers |
| Sanction | Refus/retrait d'autorisation, amende | Dommages-intérêts, démolition |
| Prescription | 6 ans (pénal), 10 ans (civil) | 5 ans (délictuelle), 30 ans (réelle) |
Ce que contrôle le Code de l'urbanisme
Le respect du PLU et des documents d'urbanisme
Lors de l'instruction de votre permis de construire ou de votre déclaration préalable, le service urbanisme vérifie la conformité aux règles du Plan Local d'Urbanisme. Ces règles portent sur :
Implantation des constructions :
- Recul par rapport à la voie publique (article 6 du règlement de zone)
- Distance aux limites séparatives (article 7)
- Emprise au sol maximale
- Coefficient de biotope
Caractéristiques du bâtiment :
- Hauteur maximale
- Aspect extérieur et matériaux autorisés
- Conditions de desserte et stationnement
La cotation du plan de masse permet à l'instructeur de vérifier ces distances. Le plan de masse doit mentionner toutes les cotes nécessaires à l'échelle requise.
Ce que le permis ne valide PAS
Le permis de construire atteste uniquement que votre projet respecte les règles d'urbanisme. Il ne certifie en aucun cas :
- Le respect des distances du Code civil vis-à-vis des voisins
- La conformité aux servitudes privées (servitude de vue, de passage)
- Les règles de copropriété
- Les prescriptions du règlement de lotissement
- Les engagements contractuels avec des tiers
C'est pourquoi les permis de construire portent systématiquement la mention : "Le présent permis ne préjuge pas du droit des tiers". Cette formule rappelle que l'autorisation administrative ne dispense pas de respecter le droit privé.
Le rôle du maître d'ouvrage
En tant que maître d'ouvrage, vous êtes responsable de la conformité de votre projet aux deux codes. L'administration contrôle le Code de l'urbanisme ; vous devez vous-même vérifier le respect du Code civil. Cette responsabilité ne peut être déléguée au constructeur ou à l'architecte sans accord contractuel explicite.
Ce que contrôle le Code civil
Les servitudes de vues
Les articles 678 à 680 du Code civil imposent des distances minimales pour les ouvertures donnant chez le voisin :
| Type de vue | Distance minimale | Mesure |
|---|---|---|
| Vue droite | 1,90 m | Du bord de l'ouverture à la limite |
| Vue oblique | 0,60 m | Du bord de l'ouverture à la limite |
Une vue droite permet de regarder directement chez le voisin sans tourner la tête. Une vue oblique nécessite de se pencher ou de regarder de côté. Ces règles concernent les fenêtres, baies vitrées, balcons, terrasses, et toute ouverture permettant de plonger le regard chez autrui.
Si vous créez un balcon à moins de 1,90 m de la limite avec vue directe sur le jardin du voisin, celui-ci peut exiger la suppression ou l'obturation — même avec un permis accordé.
La mitoyenneté et les distances de construction
Le Code civil encadre également :
- La hauteur des murs mitoyens (article 663)
- Les distances de plantations (article 671)
- Le droit d'appui sur le mur mitoyen
- Les eaux de pluie et l'écoulement (article 681)
Un mur mitoyen appartient aux deux propriétaires. Toute modification substantielle nécessite l'accord du voisin. Construire contre un mur mitoyen sans autorisation du copropriétaire expose à une action en justice.
Les servitudes conventionnelles
Des servitudes peuvent résulter de conventions passées entre propriétaires successifs : servitude de passage, servitude de vue, interdiction de construire à certains endroits. Ces servitudes, inscrites au fichier immobilier, s'imposent même si le PLU autorise davantage.
Exemple : Un acte notarié interdit de construire à moins de 5 m de la limite nord de votre parcelle. Le PLU autorise une implantation à 3 m. Vous devez respecter les 5 m de la servitude conventionnelle.
L'articulation entre les deux codes
Des règles qui s'additionnent
Code civil et Code de l'urbanisme ne s'excluent pas : ils se cumulent. Votre projet doit respecter simultanément les deux corps de règles. La règle la plus restrictive s'impose.
Illustration concrète :
- Le PLU impose un recul de 4 m par rapport aux limites séparatives
- Le Code civil impose 1,90 m pour les vues droites
- Mais votre voisin bénéficie d'une servitude conventionnelle de non aedificandi de 6 m
→ Vous devez respecter les 6 m, règle la plus contraignante.
Le permis : une autorisation sous réserve
L'article L421-6 du Code de l'urbanisme précise que le permis est délivré "sous réserve du droit des tiers". Cette mention n'est pas une simple précaution de style. Elle signifie que :
- L'administration ne vérifie que la conformité aux règles d'urbanisme
- Le respect du droit privé relève de votre responsabilité
- Un voisin peut contester votre construction devant le juge judiciaire
Le permis de construire ne crée donc aucun droit acquis vis-à-vis des voisins. Il ne valide pas la conformité au Code civil.
Deux juridictions, deux contentieux
En cas de litige, les recours sont distincts :
| Contestation | Juridiction | Délai |
|---|---|---|
| Légalité du permis | Tribunal administratif | 2 mois |
| Violation Code civil | Tribunal judiciaire | Variable selon action |
Un voisin peut mener les deux actions en parallèle. Annuler le permis devant le juge administratif ET demander la démolition devant le juge judiciaire pour violation du Code civil.
Cas pratiques : quand le conflit surgit
Exemple 1 : La fenêtre trop proche
Situation : Marc obtient un permis pour une extension de 35 m² avec trois fenêtres côté jardin. Le PLU impose 3 m de recul aux limites, qu'il respecte. Mais ses fenêtres créent une vue droite sur la piscine du voisin à 2,50 m de la limite.
Problème : Le Code civil exige 1,90 m depuis le bord de l'ouverture. Marc est à 2,50 m de la limite mais la fenêtre fait 1 m de large. Le bord extérieur de l'ouverture se trouve donc à 2 m de la limite — il est conforme.
Issue : Pas de litige. Marc respecte à la fois le PLU (3 m) et le Code civil (1,90 m). Mais s'il avait placé ses fenêtres 60 cm plus près, le voisin aurait pu exiger l'obturation.
Exemple 2 : Le balcon contesté
Situation : Sophie construit un étage avec un balcon filant sur toute la façade arrière. Permis accordé. Le balcon surplombe en partie la parcelle voisine (dépassement de 40 cm sur 6 m de long).
Problème : Selon l'article 545 du Code civil, nul ne peut empiéter sur la propriété d'autrui. Le surplomb constitue un empiétement, même aérien.
Issue : Le voisin saisit le tribunal judiciaire. Sophie doit modifier son balcon pour éliminer tout surplomb, malgré son permis valide. Coût des modifications : 8 500 €.
Exemple 3 : La servitude oubliée
Situation : Jean achète un terrain et obtient un permis pour une maison de 120 m². Lors du terrassement, le voisin produit un acte notarié mentionnant une servitude de passage de 3 m de large sur la parcelle de Jean.
Problème : Le passage coupe en diagonale l'implantation prévue de la maison. Le permis ne mentionne pas cette servitude car elle relève du droit privé.
Issue : Jean doit modifier ses plans pour libérer le passage. Son architecte refait le projet, décalant la maison de 4 m. Nouveau permis modificatif nécessaire. Retard : 3 mois. Surcoût : 12 000 €.
Erreurs à éviter
1. Croire que le permis "couvre" tout
L'erreur la plus répandue. Le permis de construire n'est pas un blanc-seing. Il autorise votre projet au regard du droit de l'urbanisme uniquement. Le respect du Code civil, des servitudes privées et du règlement de copropriété reste à votre charge.
Conseil : Avant tout dépôt de permis, faites établir un état des servitudes par votre notaire et vérifiez les distances du Code civil.
2. Ignorer les servitudes conventionnelles
Les actes de propriété successifs peuvent contenir des clauses contraignantes : non aedificandi, limitation de hauteur, servitudes de vues acquises par prescription. Ces obligations "suivent" le terrain et s'imposent à tout propriétaire.
Conseil : Lisez intégralement votre titre de propriété et celui du vendeur. Demandez une copie des actes des propriétaires voisins si des servitudes réciproques existent.
3. Ne pas anticiper les vues sur les voisins
Une extension, un étage supplémentaire, une terrasse en hauteur créent potentiellement des vues nouvelles. Le Code civil s'appliquera immédiatement, sans période de tolérance.
Conseil : Sur votre plan de masse, tracez les cônes de vue depuis chaque ouverture et vérifiez les distances aux limites. Un géomètre peut implanter précisément les limites si nécessaire.
4. Construire en limite sans vérifier la mitoyenneté
Construire contre un mur de clôture suppose qu'il soit mitoyen. S'il appartient exclusivement au voisin, vous n'avez pas le droit de vous y appuyer. L'inverse est aussi vrai : un voisin ne peut s'appuyer sur votre mur sans accord.
5. Négliger le règlement de lotissement
Le règlement de lotissement peut imposer des règles plus strictes que le PLU : coloris des façades, hauteur des clôtures, implantation des constructions. Ces règles constituent des obligations contractuelles entre colotis.
Questions fréquentes
Pourquoi un permis de construire ne protège-t-il pas des règles du Code civil ?
Le permis de construire est une autorisation administrative délivrée au titre du droit public. Le Code civil relève du droit privé. Ces deux branches du droit sont indépendantes. L'administration n'a ni la compétence ni les moyens de vérifier le respect des servitudes privées, des distances de vue ou des conventions entre particuliers. La mention "sous réserve du droit des tiers" sur tout permis rappelle cette limite. Un voisin conserve donc le droit de contester votre construction devant le tribunal judiciaire s'il estime que le Code civil est violé.
Qui vérifie le respect du Code civil pour un projet de construction ?
Personne officiellement. C'est au maître d'ouvrage (vous) de vérifier que son projet respecte le Code civil avant de construire. L'administration ne contrôle que le Code de l'urbanisme. Le notaire peut vous alerter sur les servitudes mentionnées dans l'acte de propriété. Un géomètre peut implanter les limites exactes. Un avocat spécialisé en urbanisme peut vous conseiller sur les risques juridiques. Mais la responsabilité finale vous incombe.
Peut-on obtenir la démolition d’une construction autorisée par permis ?
Oui. Si la construction viole le Code civil (empiétement, distance de vue non respectée, servitude ignorée), le tribunal judiciaire peut ordonner la démolition — même si le permis était parfaitement légal. La jurisprudence est constante : l'obtention d'un permis n'exonère pas du respect du droit privé. Certains juges accordent des dommages-intérêts plutôt que la démolition quand celle-ci serait disproportionnée, mais ce n'est pas systématique.
Quelle règle s’applique si le PLU et le Code civil sont contradictoires ?
Les deux s'appliquent cumulativement. La règle la plus restrictive prime. Exemple : le PLU autorise 3 m de recul aux limites, mais le Code civil impose 1,90 m pour les vues droites ET une servitude conventionnelle impose 5 m → vous devez respecter 5 m. Les règles ne s'annulent pas mutuellement ; elles s'additionnent. Pour modifier votre façade, vous devez respecter simultanément les prescriptions du PLU et les droits de vos voisins.
Comment connaître les servitudes qui grèvent mon terrain ?
Plusieurs sources :
- Votre acte de propriété : mentionne les servitudes connues au moment de la vente
- Le fichier immobilier : consultable auprès du service de publicité foncière
- Le PLU : annexes mentionnant les servitudes d'utilité publique
- Les actes des propriétaires voisins : peuvent révéler des servitudes réciproques
- Un certificat d'urbanisme : indique les servitudes d'urbanisme connues
Le notaire peut établir un état complet des servitudes. Coût : environ 200 à 400 €.
Un voisin peut-il acquérir une servitude de vue par prescription ?
Oui. Après 30 ans d'existence continue et apparente d'une vue non conforme (à moins de 1,90 m), celle-ci devient un droit acquis par prescription. Le voisin bénéficie alors d'une servitude de vue et vous ne pourrez pas exiger l'obturation. C'est pourquoi il faut réagir rapidement si une construction voisine crée une vue illicite. Passé le délai de prescription, le droit est définitivement acquis. La photographie de l'état existant peut servir de preuve en cas de litige.
Conclusion
Le Code civil et le Code de l'urbanisme constituent deux piliers distincts de la réglementation applicable à vos projets de construction. L'un n'exclut pas l'autre : ils se cumulent. Un permis de construire ne vous dispense jamais de respecter les droits de vos voisins.
Les points essentiels à retenir :
- Le permis de construire = conformité au droit de l'urbanisme uniquement
- Le Code civil = relations entre propriétaires (vues, mitoyenneté, servitudes)
- Mention "sous réserve du droit des tiers" = le permis ne protège pas des actions de voisins
- Cumul des règles : la plus restrictive s'impose
- Deux juridictions : tribunal administratif (permis) / tribunal judiciaire (Code civil)
Avant de déposer votre demande d'autorisation, vérifiez systématiquement les distances de vue, les servitudes inscrites à l'acte de propriété et les éventuelles conventions avec les voisins. Un logiciel de plan de masse peut vous aider à visualiser les distances. La différence entre plan de masse et plan de situation permet de comprendre ce que chaque document représente.
Cette double vérification — urbanisme ET droit privé — sécurise votre projet et vous évite des contentieux coûteux après travaux.
Sources : Code de l'urbanisme (L421-6), Code civil (articles 544, 653-673, 678-680), Legifrance, jurisprudence Cour de cassation
