Voisinage & Conflits

Clôture du Voisin sur Mon Terrain : Que Faire ?

Il a Construit sa Clôture sur Mon Terrain : Procédure

Temps de lecture : 8 minutes

Vous venez de faire borner votre terrain et vous découvrez que la clôture de votre voisin empiète de 30 cm sur votre propriété. Ou pire : il vient d'installer une clôture en parpaings directement sur votre parcelle, sans même vous consulter. Cette situation, loin d'être rare, touche des milliers de propriétaires chaque année en France.

L'empiètement, même de quelques centimètres, constitue une atteinte à votre droit de propriété – droit fondamental protégé par l'article 544 du Code civil. La bonne nouvelle : la loi vous donne des moyens d'action efficaces. La mauvaise : agir sans méthode peut transformer un problème soluble en conflit de voisinage durable. Voici comment récupérer votre terrain de manière méthodique, en privilégiant le dialogue quand c'est possible, mais en connaissant vos recours quand ça ne l'est plus.

Sommaire

Qu'est-ce qu'un Empiètement de Clôture ?

L'empiètement se produit lorsqu'une construction – ici une clôture – dépasse la limite séparative et occupe, même partiellement, le terrain du voisin. Juridiquement, c'est une atteinte au droit de propriété.

Le cadre légal : articles 544 et 545 du Code civil

L'article 544 définit la propriété comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». L'article 545 précise que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété ». Ces textes fondent votre droit à exiger le retrait de toute construction empiétant sur votre terrain.

La règle de l'imprescriptibilité

Point fondamental : contrairement à d'autres infractions, l'empiètement sur la propriété d'autrui ne se prescrit pas. Même si la clôture est là depuis 20 ans, vous pouvez en demander la démolition. Seule exception : si votre voisin peut prouver une possession trentenaire (30 ans) continue, paisible et publique – ce qui est extrêmement rare pour une clôture récente.

Empiètement vs servitude

Une servitude de passage ou de vue peut autoriser certains aménagements sur votre terrain. Mais une servitude ne se présume pas : elle doit être inscrite dans un acte notarié ou résulter d'une destination du père de famille. Votre voisin ne peut pas invoquer une « servitude » pour justifier une clôture qu'il a construite de sa propre initiative.

Comment établir l'empiètement ?

La preuve passe par le bornage. Si aucun bornage de terrain n'a été réalisé, c'est la première étape indispensable. Un géomètre-expert établira les limites exactes de votre propriété, sur la base du cadastre et des titres de propriété. Le coût varie de 800€ à 2000€ selon la complexité du terrain, mais ce document aura force probante devant un tribunal.

Procédure Complète pour Faire Respecter vos Droits

Étape 1 : Vérifier la réalité de l'empiètement

Avant tout, assurez-vous que l'empiètement existe réellement. Le cadastre n'est qu'indicatif et peut comporter des imprécisions de plusieurs mètres. Seul le bornage contradictoire établit juridiquement les limites.

Faites appel à un géomètre-expert inscrit à l'Ordre. Comptez 1000€ à 2000€ pour un bornage classique. Le géomètre convoquera votre voisin par lettre recommandée – sa présence est indispensable pour que le bornage soit contradictoire et opposable.

Étape 2 : La phase amiable (obligatoire avant tout contentieux)

Une fois l'empiètement constaté, la loi vous impose de tenter une résolution amiable avant de saisir la justice. Envoyez une lettre recommandée avec AR à votre voisin :

  • Joignez le procès-verbal de bornage
  • Décrivez précisément l'empiètement (longueur, largeur, surface)
  • Demandez le retrait ou le déplacement de la clôture
  • Fixez un délai raisonnable (1 à 2 mois)
  • Mentionnez que vous saisirez la justice à défaut de réponse

Cette lettre constitue la preuve de votre tentative de règlement amiable – pièce indispensable si vous saisissez ensuite le tribunal.

Étape 3 : La médiation ou conciliation

Si votre voisin refuse ou ne répond pas, vous pouvez proposer une médiation. Depuis 2020, certains litiges de voisinage imposent un préalable de conciliation devant un conciliateur de justice (gratuit). Cette étape peut débloquer des situations où le dialogue direct est rompu.

Étape 4 : L'action en justice

Si aucune solution amiable n'aboutit, saisissez le tribunal judiciaire (anciennement tribunal de grande instance) de votre domicile. L'action est une action réelle immobilière, prescrite par 30 ans à compter de l'empiètement.

Vous pouvez demander :

  • La démolition de la clôture empiétante
  • Des dommages-intérêts pour occupation indue de votre terrain
  • Le remboursement des frais de bornage et d'avocat

Le juge ordonnera presque systématiquement la démolition : la jurisprudence est constante depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2002 – même un empiètement de 0,5 cm justifie la démolition.

Étape 5 : L'exécution du jugement

Une fois le jugement obtenu, votre voisin dispose d'un délai pour démolir (généralement 2 à 3 mois). S'il n'obtempère pas, vous pouvez faire appel à un huissier pour l'exécution forcée. Le coût de la démolition sera à sa charge.

Cas Pratiques et Exemples

Cas n°1 : La haie qui déborde de 50 cm

Monsieur et Madame Dupont achètent une maison avec une haie de thuyas plantée « en limite ». Après bornage, ils découvrent que la haie empiète de 50 cm sur leur terrain, soit environ 15 m² sur toute la longueur. Le voisin refuse de tailler.

Solution : Après mise en demeure infructueuse, les Dupont saisissent le tribunal. Jugement : arrachage de la haie sur la partie empiétante, 1200€ de dommages-intérêts pour jouissance perdue, 2500€ au titre de l'article 700 (frais d'avocat). Coût total pour le voisin : près de 8000€ (avec arrachage et replantation à ses frais).

Cas n°2 : Le mur de clôture en parpaings de 1,80 m

Un propriétaire construit un mur de clôture de 1,80 m de haut, directement sur la limite. Problème : il s'est trompé de 20 cm et le mur est entièrement sur le terrain voisin. Le mur mesure 12 m de long – investissement : 4500€.

Solution : Le juge ordonne la démolition totale. Aucune indemnisation pour le constructeur de bonne foi – la jurisprudence est stricte. Même si le voisin avait su et s'était tu, le propriétaire du terrain peut exiger la démolition. Morale : toujours faire borner AVANT de construire.

Cas n°3 : L'empiètement ancien de 30 cm

Une clôture grillagée existe depuis 25 ans. Le nouveau propriétaire fait appel à un géomètre et découvre un empiètement de 30 cm. L'ancien propriétaire voisin prétend à la prescription acquisitive.

Solution : Pour acquérir la propriété par prescription (usucapion), il faut 30 ans de possession continue, non interrompue, paisible, publique et non équivoque (article 2261 du Code civil). Ici, 25 ans ne suffisent pas. Le voisin doit déplacer sa clôture. S'il avait attendu 5 ans de plus, la situation aurait pu être différente.

Erreurs à Éviter

1. Agir sans bornage préalable

Se fier au cadastre ou aux « anciennes limites » est une erreur classique. Sans procès-verbal de bornage signé par un géomètre-expert, vous n'avez aucune preuve juridique de l'empiètement. Un juge peut refuser votre demande faute de preuve certaine.

2. Détruire la clôture vous-même

Même si elle est sur votre terrain, détruire la clôture sans décision de justice constitue une voie de fait. Votre voisin pourrait alors vous poursuivre pour destruction de bien – et gagner. Patience : obtenez d'abord une décision de justice.

3. Laisser traîner le conflit

Plus vous attendez, plus votre voisin peut invoquer une « tolérance » de votre part. Si vous constatez un empiètement, agissez dans les mois qui suivent. Un silence de plusieurs années, même s'il n'éteint pas votre droit, peut compliquer la procédure.

4. Oublier le volet urbanisme

Une clôture de plus de 2 m de hauteur nécessite généralement une déclaration préalable. Si votre voisin a construit sans autorisation, vous pouvez aussi signaler l'infraction à la mairie. Le plan de masse pour déclaration préalable doit mentionner la position exacte de la clôture – un document utile pour prouver l'empiètement intentionnel.

5. Négliger la preuve de l'état antérieur

Avant tout bornage, photographiez l'état des lieux, récupérez les photos aériennes (cadastre.gouv.fr, Géoportail). Ces éléments permettront de prouver depuis quand l'empiètement existe – utile si votre voisin prétend à une possession ancienne.

Questions Fréquentes

Mon voisin peut-il invoquer la prescription pour sa clôture empiétante ?

La prescription acquisitive (usucapion) requiert 30 ans de possession continue, paisible et non équivoque. Si la clôture existe depuis moins de 30 ans, aucune prescription n'est possible. Même après 30 ans, votre voisin doit prouver qu'il a possédé « comme propriétaire » – ce qui est difficile pour un empiètement souvent involontaire.

Combien coûte une action en justice pour empiètement ?

Comptez entre 2000€ et 5000€ d'honoraires d'avocat pour une procédure simple (1 à 2 ans). Ajoutez 800€ à 2000€ pour le bornage préalable et environ 200€ de frais de justice. Total : 3000€ à 7000€. Si vous gagnez, le juge condamne généralement votre voisin à vous rembourser une partie de ces frais (article 700 du Code de procédure civile).

Puis-je exiger la démolition pour un empiètement de quelques centimètres ?

Oui, et c'est une spécificité du droit français. La Cour de cassation juge de manière constante que tout empiètement, même minime, justifie la démolition. Un arrêt célèbre a ordonné la démolition pour un empiètement de 0,5 cm. Le juge ne peut pas substituer des dommages-intérêts à la démolition si vous demandez celle-ci.

Que faire si mon voisin refuse le bornage ?

Le bornage est un droit (article 646 du Code civil). Si votre voisin refuse de participer au bornage amiable, saisissez le tribunal judiciaire pour un bornage judiciaire. Le juge désignera un géomètre-expert et le bornage sera réalisé de force. Les frais seront partagés ou mis à la charge du voisin récalcitrant selon les circonstances.

La clôture empiétante peut-elle devenir mitoyenne ?

Non, pas automatiquement. La mitoyenneté suppose un accord des deux propriétaires ou une acquisition (article 661 du Code civil). Vous pouvez proposer à votre voisin de racheter la mitoyenneté – la clôture resterait en place moyennant une indemnisation. Mais rien ne vous oblige à accepter cette solution.

Conclusion

Une clôture construite sur votre terrain constitue un empiètement que le droit français sanctionne sans nuance : même un débordement de quelques centimètres justifie la démolition. La procédure est claire – bornage, mise en demeure, médiation si nécessaire, puis saisine du tribunal.

Avant d'engager une bataille juridique coûteuse, tentez toujours le dialogue. Votre voisin a peut-être agi de bonne foi, sur la base d'un cadastre imprécis. Un accord amiable (rachat de la bande de terrain, déplacement négocié de la clôture) évite des années de procédure et préserve les relations de voisinage.

Mais si le dialogue échoue, la loi est de votre côté. La procédure de régularisation n'existe pas pour les empiètements – votre voisin ne peut pas « régulariser » une construction sur votre propriété. Faites valoir vos droits.


Sources : Code civil (articles 544, 545, 646, 661, 2261), Cour de cassation 3e civ. 20 mars 2002, Service-public.fr