Voisinage & Conflits

Clôture qui Prive d’Ensoleillement : Obtenir des Dommages

Clôture qui Prive d'Ensoleillement : Vos Droits et Recours

Temps de lecture : 10 minutes

Votre voisin vient d'ériger un mur de clôture de 2,50 m qui plonge votre terrasse dans l'ombre permanente. Votre jardin, autrefois ensoleillé, ne voit plus un rayon de soleil direct. Cette situation, fréquente en zone pavillonnaire, peut constituer un trouble anormal de voisinage ouvrant droit à des dommages-intérêts. Mais attention : une clôture conforme aux règles d'urbanisme n'est pas automatiquement fautive. Voici comment évaluer votre situation et, le cas échéant, obtenir réparation.

Sommaire

  1. Le droit à l'ensoleillement existe-t-il ?
  2. Clôture légale vs trouble anormal de voisinage
  3. Les règles de hauteur des clôtures
  4. Comment obtenir des dommages-intérêts
  5. Erreurs fréquentes à éviter
  6. Questions fréquentes
  7. Conclusion

Le droit à l'ensoleillement existe-t-il ?

Pas de droit absolu au soleil

Contrairement à une idée répandue, le droit français ne reconnaît pas de "droit au soleil" en tant que tel. Un propriétaire n'est pas tenu de préserver l'ensoleillement de son voisin lorsqu'il construit ou clôture son terrain.

La jurisprudence est constante : la perte d'ensoleillement n'est pas en soi un préjudice indemnisable. Elle ne le devient que si elle résulte d'un abus de droit ou d'un trouble anormal de voisinage.

L'exception : le trouble anormal de voisinage

L'article 1240 du Code civil (anciennement 1382) et la théorie jurisprudentielle du trouble anormal de voisinage permettent d'obtenir réparation lorsque la clôture cause un préjudice excessif au regard de l'usage normal de la propriété.

Le juge apprécie au cas par cas :

  • L'ampleur de la perte d'ensoleillement
  • Le caractère abusif de la construction
  • L'environnement préexistant
  • L'intention du voisin (nuire ou simplement user de son droit)

Les servitudes de vue et de jour

Attention à ne pas confondre ensoleillement et vue. Les servitudes de jour et de vue (articles 678 à 680 du Code civil) concernent les ouvertures donnant chez le voisin, pas l'apport de lumière naturelle. Une clôture ne viole pas ces servitudes même si elle prive de soleil.

Clôture légale vs trouble anormal de voisinage

Une clôture conforme peut être fautive

C'est le paradoxe : une clôture séparative parfaitement conforme au PLU et au Code civil peut néanmoins engager la responsabilité de son constructeur si elle cause un trouble anormal.

Exemple : le PLU autorise les clôtures de 2,50 m. Votre voisin construit un mur de 2,50 m plein sud qui prive totalement votre terrasse de soleil de novembre à février. La clôture est légale, mais le préjudice peut être jugé excessif.

Les critères d'appréciation du juge

Le juge examine plusieurs éléments :

1. L'environnement préexistant
Un quartier déjà dense avec des murs hauts ? La perte de soleil est plus acceptable que dans un lotissement aéré où tous les terrains sont ouverts.

2. La hauteur et l'opacité
Un mur plein de 2,50 m cause plus de préjudice qu'une clôture grillagée ou une haie taillée à la même hauteur.

3. L'orientation
Une clôture au nord de votre terrain a peu d'impact. La même au sud vous prive de l'essentiel du soleil.

4. L'intention ou la mauvaise foi
Un voisin qui construit ostensiblement pour gêner (conflit préexistant, demandes de suppression ignorées) verra sa responsabilité plus facilement engagée.

5. L'usage habituel des lieux
Une terrasse où vous prenez vos repas depuis 20 ans mérite plus de protection qu'un coin de jardin non aménagé.

La charge de la preuve

C'est à vous, victime du préjudice, de prouver :

  • L'existence de la clôture et ses caractéristiques
  • La perte d'ensoleillement effective (photos, mesures, témoignages)
  • Le préjudice subi (perte d'agrément, impossibilité d'utiliser la terrasse, dépréciation du bien)

Un constat d'huissier avec relevés photographiques à différentes heures et saisons est souvent déterminant.

Les règles de hauteur des clôtures

Le Code civil (articles 663 et 671)

En l'absence de règlement local, le Code civil fixe des hauteurs maximales pour les murs de clôture :

  • 3,20 m dans les villes de 50 000 habitants et plus
  • 2,60 m dans les autres communes

Ces hauteurs s'appliquent aux murs séparatifs entre propriétés privées. Les clôtures en bordure de voie publique relèvent du PLU.

Le PLU prime sur le Code civil

La plupart des communes ont adopté des règles plus restrictives dans leur PLU. Les hauteurs de clôture sans autorisation varient généralement entre 1,80 m et 2 m.

Points à vérifier dans le PLU :

  • Hauteur maximale en limite séparative
  • Hauteur en bordure de voie (souvent plus basse)
  • Types de clôtures autorisés (mur plein, grillage, haie)
  • Coloris et matériaux imposés

Quand une déclaration préalable est-elle obligatoire ?

Une déclaration préalable est requise pour les clôtures :

  • En secteur sauvegardé ou périmètre ABF
  • Lorsque le PLU l'impose (nombreuses communes)
  • Si la hauteur dépasse le seuil fixé localement
  • En zone de plan de prévention des risques

Le dossier comprend un plan de masse indiquant le tracé et la hauteur de la clôture, ainsi qu'un plan de situation localisant le terrain.

Comment obtenir des dommages-intérêts

Étape 1 : Tenter une résolution amiable

Avant tout contentieux, adressez un courrier recommandé à votre voisin exposant le préjudice et demandant une solution (réduction de hauteur, remplacement par une clôture ajourée, compensation financière).

Cette démarche est souvent un préalable obligatoire avant de saisir le juge (tentative de médiation ou conciliation).

Étape 2 : Faire constater le préjudice

Sollicitez un huissier de justice pour établir un constat détaillé :

  • Photos de la clôture avec mesures
  • Photos de votre terrain avant/après (si disponibles)
  • Relevés d'ensoleillement à différentes heures et périodes
  • Témoignages de voisins sur l'état antérieur

Coût indicatif : 200 à 500 € selon la complexité.

Étape 3 : Saisir le conciliateur de justice

Le conciliateur est gratuit et souvent efficace. Il convoque les deux parties et tente de trouver un accord. En cas de réussite, l'accord peut être homologué par le juge.

Étape 4 : Saisir le tribunal judiciaire

Si la médiation échoue, saisissez le tribunal judiciaire de votre lieu de résidence. Pour les litiges inférieurs à 10 000 €, l'avocat n'est pas obligatoire (mais recommandé).

Délai moyen : 12 à 24 mois pour obtenir un jugement.

Ce que vous pouvez obtenir

Dommages-intérêts : quelques milliers d'euros pour le préjudice d'agrément (perte de jouissance de votre bien). Les montants varient de 1 000 à 15 000 € selon la gravité du trouble.

Condamnation à modifier la clôture : le juge peut ordonner la réduction de hauteur ou le remplacement par une clôture ajourée, sous astreinte journalière.

Démolition : rare, réservée aux cas d'abus de droit manifeste ou de clôture illégale.

Erreurs fréquentes à éviter

Erreur n°1 : Croire qu'une clôture légale ne peut être contestée

Une clôture conforme au PLU peut néanmoins constituer un trouble anormal de voisinage. La conformité urbanistique ne protège pas contre l'action civile des voisins.

Erreur n°2 : Agir sans preuves solides

Des photos prises avec votre téléphone un jour de beau temps ne suffisent pas. Faites établir un constat d'huissier professionnel qui servira de preuve devant le juge.

Erreur n°3 : Saisir le tribunal sans médiation préalable

Depuis 2020, la tentative de résolution amiable est un préalable obligatoire pour de nombreux litiges de voisinage. Un juge peut déclarer votre demande irrecevable si vous n'avez pas tenté de négocier.

Erreur n°4 : Confondre urbanisme et code civil

Le recours contre un permis de construire devant le tribunal administratif est différent de l'action en trouble de voisinage devant le juge civil. Les deux procédures peuvent coexister, mais elles n'ont pas le même objet.

Erreur n°5 : Attendre trop longtemps

La prescription pour agir en trouble de voisinage est de 5 ans à compter de la manifestation du dommage. Passé ce délai, vous ne pourrez plus réclamer de dommages-intérêts.

Questions fréquentes

Quelle est la hauteur maximale d’une clôture en limite de propriété ?

La hauteur maximale dépend du PLU de votre commune (généralement 1,80 m à 2 m en limite séparative). En l'absence de règle locale, le Code civil prévoit 3,20 m dans les villes de plus de 50 000 habitants et 2,60 m ailleurs. Certaines communes imposent des hauteurs plus basses en façade sur rue (1,20 m à 1,50 m) pour préserver l'aspect du quartier.

Faut-il une autorisation pour poser une clôture ?

Cela dépend de la commune et de la zone. Une déclaration de clôture est obligatoire en secteur protégé (ABF, site classé), lorsque le PLU l'impose, ou si la hauteur dépasse les seuils locaux. Hors de ces cas, la clôture peut être érigée sans autorisation. Vérifiez systématiquement le règlement de votre zone avant d'installer un mur de clôture ou une palissade.

Peut-on mettre une clôture sans l’accord du voisin ?

Oui, si la clôture est implantée entièrement sur votre terrain (en retrait de la limite). Pour une clôture mitoyenne (sur la limite exacte), l'accord du voisin est préférable car il devient copropriétaire et cofinanceur potentiel. Une clôture non mitoyenne peut être érigée unilatéralement, à vos frais, en respectant les règles d'urbanisme et sans créer de trouble anormal.

Combien coûte une clôture au mètre linéaire ?

Les prix varient fortement selon le type : grillage simple (15-30 €/ml posé), palissade bois (50-100 €/ml), claustra aluminium (100-200 €/ml), mur en parpaings enduit (150-300 €/ml). Un mur de clôture de 2 m de haut sur 20 mètres linéaires coûte entre 3 000 et 6 000 € tout compris. Les portails et portillons s'ajoutent au budget (800 à 3 000 € selon le modèle).

Mon voisin peut-il m’obliger à participer aux frais de clôture ?

Oui, en zone urbaine, tout propriétaire peut contraindre son voisin à participer à la construction d'un mur mitoyen séparatif (article 663 du Code civil). La hauteur et le coût sont alors partagés. Toutefois, si votre voisin souhaite une clôture plus haute ou plus coûteuse que le strict nécessaire, il devra financer seul le surcoût. Un géomètre-expert peut formaliser la limite et les conditions de mitoyenneté.

Comment prouver une perte d’ensoleillement ?

Le constat d'huissier est la preuve la plus solide : photos datées à différentes heures et saisons, mesures d'ombre, relevés de la clôture. Des photos personnelles avant/après la construction aident également. Des témoignages écrits de voisins sur l'état antérieur complètent le dossier. Certains experts réalisent des études d'ensoleillement par simulation 3D pour quantifier précisément la perte.

Une haie peut-elle constituer un trouble de voisinage ?

Oui, une haie trop haute ou mal entretenue peut constituer un trouble anormal de voisinage au même titre qu'un mur. Le Code civil impose des distances de plantation (2 m pour les arbres de plus de 2 m, 0,50 m pour les autres). Une haie non taillée qui dépasse ces hauteurs et prive de lumière peut justifier une action. Le juge peut ordonner la taille ou l'arrachage sous astreinte.

Conclusion

Une clôture qui prive d'ensoleillement peut ouvrir droit à réparation, même si elle respecte les règles d'urbanisme. Le juge apprécie au cas par cas le caractère excessif du préjudice en fonction de la situation des lieux, de la hauteur et de l'opacité de la clôture, et de l'intention du constructeur.

Points clés à retenir :

  • Aucun droit absolu au soleil n'existe en France
  • Le trouble anormal de voisinage peut néanmoins être invoqué
  • La preuve du préjudice incombe à la victime (constat d'huissier recommandé)
  • La tentative de médiation est un préalable obligatoire
  • Les dommages-intérêts varient de quelques milliers à 15 000 € selon les cas

Avant d'engager une procédure longue et coûteuse, tentez toujours une résolution amiable. Un accord sur la réduction de hauteur de la clôture ou l'installation d'une clôture jardin ajourée peut satisfaire les deux parties sans passer par le tribunal.


Sources : Code civil (articles 663, 671, 678-680, 1240), Jurisprudence Cour de cassation, Service-public.fr