Jurisprudence

Chine : les Maisons ‘Clou’ qui Refusent la Démolition

Chine : les Maisons "Clou" qui Défient les Promoteurs

Temps de lecture : 9 minutes

Au milieu d'un chantier gigantesque, une petite maison reste debout, seule, entourée de grues et de bulldozers. En Chine, on appelle ces habitations des "maisons clou" (钉子户, dīngzihù) : comme un clou qu'on n'arrive pas à arracher, leurs propriétaires refusent de partir malgré les pressions des promoteurs immobiliers. Ces images spectaculaires, devenues virales sur internet, posent une question universelle : jusqu'où peut-on résister face à l'urbanisation ? Et qu'en serait-il en France ? Le droit de propriété et les règles de démolition diffèrent fondamentalement entre les deux systèmes juridiques.

Sommaire

  1. Le phénomène des maisons clou
  2. Cas emblématiques en Chine
  3. Le droit chinois vs le droit français
  4. L'expropriation et la démolition en France
  5. Erreurs à éviter
  6. Questions fréquentes
  7. Conclusion

Le phénomène des maisons clou

Origine du terme

Le terme "maison clou" est apparu dans les années 2000, lors du boom immobilier chinois. L'urbanisation fulgurante du pays — des centaines de millions de ruraux déplacés vers les villes — a généré d'innombrables conflits fonciers. Les propriétaires qui refusaient de vendre voyaient littéralement le chantier se construire autour d'eux.

Pourquoi résistent-ils ?

Les motivations des "clouteurs" sont diverses :

Raison Explication
Indemnisation insuffisante Compensation en-dessous du prix du marché
Attachement au lieu Maison familiale depuis des générations
Principe Refus de céder aux pressions
Négociation Tactique pour obtenir plus

En Chine, les terrains appartiennent à l'État. Les particuliers ne possèdent qu'un droit d'usage (70 ans pour le résidentiel). Cette différence fondamentale avec la France explique en partie les tensions. Une maison mitoyenne ou une maison jumelée peuvent se retrouver isolées quand leurs voisins acceptent de vendre.

Des images devenues virales

Les photos de maisons clou ont fait le tour du monde :

  • Une maison au milieu d'une autoroute à Wenling (2012)
  • Un immeuble isolé sur un rond-point à Rui'an (2015)
  • Une ferme encerclée par un centre commercial à Shenzhen (2017)

Ces situations absurdes illustrent le rapport de force entre développement économique et droits individuels.

Cas emblématiques en Chine

La maison de Chongqing (2007)

Le cas le plus célèbre reste celui de Wu Ping et Yang Wu à Chongqing. Leur maison de trois étages se retrouva perchée sur un monticule de 10 mètres de haut, le terrain alentour ayant été excavé pour un centre commercial.

Chronologie :

  • 2004 : Début des négociations
  • 2005 : Refus de l'offre (jugée insuffisante)
  • 2006 : Excavation du terrain autour de la maison
  • 2007 : Médiatisation internationale
  • 2007 : Accord final après 3 ans de résistance

L'indemnisation finale aurait été 3 fois supérieure à l'offre initiale. La résistance a payé.

L'autoroute de Wenling (2012)

Une maison d'un étage s'est retrouvée au beau milieu d'une autoroute en construction dans la province du Zhejiang. Les voies de circulation se séparaient pour contourner l'habitation, créant une image surréaliste.

Le propriétaire, Luo Baogen, refusait l'indemnisation de 260 000 yuans (environ 35 000 €), estimant sa maison à 4 fois ce montant. La route a finalement été mise en service en contournant la maison. Luo Baogen a fini par accepter une offre supérieure quelques mois plus tard.

La ferme de Shenzhen (2017)

Un agriculteur a refusé pendant 14 ans de vendre sa ferme de 400 m². Autour de lui, un centre commercial géant s'est construit, transformant sa propriété en îlot anachronique au milieu des boutiques de luxe. L'indemnité finale, négociée après médiatisation internationale, aurait atteint 10 millions de yuans (1,3 million d'euros).

Coût humain et social

Ces résistances ne sont pas sans conséquences :

  • Coupures d'eau et d'électricité "accidentelles"
  • Intimidations par des "inconnus"
  • Procès interminables
  • Isolement social

Certains résistants ont payé cher leur obstination. En 2009, une femme s'est immolée par le feu à Chengdu pour protester contre la démolition de sa maison. Ces drames ont conduit à une évolution de la législation chinoise.

Le droit chinois vs le droit français

En Chine : une protection récente

La loi chinoise sur la propriété de 2007 a renforcé les droits des propriétaires :

  • Interdiction des expropriations sans juste compensation
  • Procédure contradictoire obligatoire
  • Recours devant les tribunaux

Mais dans la pratique, les autorités locales et les promoteurs conservent un pouvoir considérable. Les juges sont rarement indépendants du pouvoir politique local.

En France : l'expropriation encadrée

En France, le droit de propriété est constitutionnellement protégé (article 17 de la DDHC de 1789). L'expropriation n'est possible que pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.

La procédure est strictement encadrée :

  1. Déclaration d'utilité publique (DUP) par arrêté préfectoral
  2. Enquête publique avec participation des habitants
  3. Arrêté de cessibilité désignant les parcelles
  4. Fixation de l'indemnité par le juge de l'expropriation
  5. Paiement préalable avant toute prise de possession

Le PLU peut prévoir des emplacements réservés pour futurs équipements publics, mais le propriétaire conserve son bien jusqu'à l'expropriation effective.

Tableau comparatif

Critère Chine France
Propriété du sol État Privée
Durée des droits 70 ans (usage) Perpétuelle
Qui peut exproprier État + promoteurs Personnes publiques uniquement
Juge indépendant Rare Oui (juge de l'expropriation)
Paiement préalable Non garanti Obligatoire
Recours suspensif Difficile Oui

L'expropriation et la démolition en France

Qui peut exproprier ?

Seules les personnes publiques peuvent exproprier :

  • L'État
  • Les collectivités territoriales (communes, départements, régions)
  • Les établissements publics
  • Les concessionnaires de services publics (SNCF, sociétés d'autoroute)

Un promoteur privé ne peut pas exproprier directement. Il doit convaincre une collectivité de porter le projet d'utilité publique.

Pour quels projets ?

L'utilité publique peut être reconnue pour :

  • Infrastructures de transport (routes, voies ferrées)
  • Équipements publics (écoles, hôpitaux)
  • Logements sociaux
  • Opérations d'aménagement urbain
  • Préservation de l'environnement

Un centre commercial privé ne peut pas, en principe, justifier une expropriation. Sauf s'il s'inscrit dans une opération d'aménagement plus large déclarée d'utilité publique.

Le permis de démolir en France

En France, la démolition d'une construction nécessite souvent un permis de démolir (permis de démolition maison). Cette autorisation est obligatoire :

  • Dans les secteurs protégés (ABF, monuments historiques)
  • Dans les communes ayant instauré cette obligation
  • Quand la démolition précède une reconstruction soumise à permis

Le permis de construire peut valoir permis de démolir si le projet prévoit la reconstruction. Les formulaires CERFA spécifiques (13405) permettent de déposer une demande de permis de démolir autonome.

Délais d'instruction :

  • Permis de démolir simple : 2 mois
  • En zone ABF : 3 mois
  • Avec enquête publique : 4 mois ou plus

L'indemnisation : le rôle du juge

En France, c'est le juge de l'expropriation (tribunal judiciaire) qui fixe l'indemnité si les parties ne s'accordent pas. Cette indemnité doit couvrir :

  • La valeur vénale du bien (calculée selon la surface de plancher)
  • Les frais de déménagement
  • Le préjudice moral (attachement au lieu)
  • Les pertes d'exploitation (pour les commerces)

Le juge se base sur des expertises et des comparaisons avec le marché local. L'indemnité doit être juste, c'est-à-dire correspondre à la valeur réelle du bien, sans plus-value liée au projet lui-même.

Le cas du permis de construire du voisin

En France, un permis de construire accordé à un voisin ne vous oblige pas à vendre. Le recours des tiers permet de contester un permis jugé illégal, mais pas d'empêcher un projet conforme aux règles d'urbanisme.

Si un projet vous gêne (perte de vue, ensoleillement), vos recours sont limités :

  • Contestation du permis si non-conformité au PLU
  • Action en responsabilité civile pour trouble anormal de voisinage
  • Opposition à l'expropriation si utilité publique contestable

Erreurs à éviter

Erreur n°1 : Croire qu'un promoteur peut vous forcer à vendre

En France, contrairement à la Chine, un promoteur privé n'a aucun pouvoir de contrainte. Il peut négocier, proposer des prix attractifs, mais jamais vous forcer. Seule l'expropriation pour cause d'utilité publique peut aboutir à une vente forcée.

Erreur n°2 : Refuser toute négociation

Face à un projet d'aménagement, la résistance absolue n'est pas toujours la meilleure stratégie. Une négociation bien menée peut aboutir à une indemnisation supérieure au prix du marché. Faites-vous accompagner par un avocat spécialisé.

Erreur n°3 : Ignorer les délais de recours

Le délai d'instruction d'un permis de construire et les délais de recours sont encadrés par la loi. Vous disposez de 2 mois après l'affichage pour contester un permis de construire voisin. Passé ce délai, le permis devient définitif.

Erreur n°4 : Démolir sans autorisation

La démolition sans permis expose à des sanctions : amende jusqu'à 6 000 € par m² de construction démolie, obligation de reconstruire à l'identique, poursuites pénales. Même pour une ruine, vérifiez si un permis de démolir est requis.

Erreur n°5 : Négliger l'accessibilité

Lors d'une reconstruction après démolition, les normes actuelles s'appliquent : réglementation thermique, accessibilité PMR pour les ERP, attestation acoustique en zone de bruit. Le plan de masse du nouveau projet doit respecter ces exigences.

Questions fréquentes

Peut-on refuser une expropriation en France ?

On peut contester une expropriation devant le juge administratif (contre la DUP) ou le juge judiciaire (sur le montant de l'indemnité), mais on ne peut pas s'y opposer indéfiniment si la procédure est régulière. Après paiement de l'indemnité, l'expropriant peut prendre possession du bien, au besoin avec le concours de la force publique. La résistance physique est une infraction pénale.

Comment est calculée l’indemnité d’expropriation ?

L'indemnité comprend la valeur vénale du bien (prix du marché), l'indemnité de remploi (frais d'acquisition d'un nouveau bien, environ 10 %), et les indemnités accessoires (déménagement, préjudice moral). Pour un commerce, s'ajoutent la perte de fonds de commerce et le préjudice d'éviction. Le juge de l'expropriation tranche en cas de désaccord, sur la base d'expertises contradictoires.

Un promoteur peut-il m’obliger à vendre en France ?

Non. Un promoteur privé ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte. Il ne peut que négocier un accord amiable. Seule une personne publique peut exproprier, et uniquement pour cause d'utilité publique. Si un promoteur vous harcèle pour acheter votre bien, vous pouvez refuser indéfiniment. Il n'existe pas de "maisons clou" en France car le droit de propriété est mieux protégé.

Combien de temps dure une procédure d’expropriation ?

Une expropriation complète prend généralement 2 à 5 ans en France. L'enquête publique dure 1 mois, la DUP peut être contestée pendant 2 mois, la phase judiciaire (fixation de l'indemnité) prend 6 mois à 2 ans selon la complexité. Les recours peuvent allonger considérablement les délais. Certaines expropriations contestées ont duré plus de 10 ans. La durée de validité de la DUP est de 5 ans.

Faut-il un permis pour démolir une maison en France ?

Le permis de démolir est obligatoire dans les secteurs protégés (périmètre ABF, monuments historiques, sites classés) et dans les communes ayant instauré cette obligation par délibération. Ailleurs, la démolition peut être libre ou intégrée au permis de construire si elle précède une reconstruction. Vérifiez auprès de votre mairie avant toute intervention. Les plans du projet de reconstruction doivent être joints si applicable.

L’attestation acoustique concerne-t-elle les maisons individuelles ?

L'attestation acoustique est principalement requise pour les logements collectifs. Pour les maisons individuelles, elle n'est obligatoire qu'en zone de bruit (proximité d'aéroport, voie ferrée, route à fort trafic). Le maître d'ouvrage doit alors fournir une attestation de prise en compte de la réglementation acoustique (NRA) à la DAACT. Pour plus d'infos pratiques sur les attestations, consultez les exigences spécifiques.

Quelle autorisation pour reconstruire après démolition ?

La reconstruction après démolition nécessite un permis de construire classique dès que la surface dépasse 20 m² (ou 40 m² en zone U). Si la surface totale dépasse 150 m², un architecte obligatoire doit signer les plans. Le permis de construire peut valoir permis de démolir si les deux opérations sont liées. Une déclaration préalable suffit pour les petites constructions de remplacement.

Conclusion

Les maisons clou chinoises fascinent par leur dimension symbolique : David contre Goliath, l'individu contre le système. Mais elles révèlent surtout les failles d'un système juridique où le droit de propriété reste fragile face aux intérêts économiques et politiques.

En France, le cadre légal protège davantage les propriétaires :

  1. L'expropriation est l'exception, pas la règle
  2. L'utilité publique doit être démontrée et peut être contestée
  3. L'indemnisation est fixée par un juge indépendant
  4. Le paiement précède la prise de possession
  5. Un promoteur privé ne peut pas exproprier

Ces garanties n'empêchent pas les conflits, mais ils se règlent devant les tribunaux plutôt que sur les chantiers. Le délai d'instruction d'un permis de construire, le permis de démolition d'une maison ou la durée de validité d'une autorisation sont encadrés par la loi, tout comme les droits des expropriés.


Sources : China Daily, Le Monde, Legifrance (Code de l'expropriation), Cour de cassation