Jurisprudence

USA : il gagne 1M€ car le voisin lui cache le soleil

USA : il gagne 1M€ car le voisin lui cache le soleil

Temps de lecture : 9 minutes

En Californie, un propriétaire a obtenu plus d'un million de dollars de dommages-intérêts parce que la nouvelle construction de son voisin privait sa maison de soleil. Cette affaire spectaculaire soulève une question que beaucoup de Français se posent : peut-on empêcher un voisin de construire s'il nous fait de l'ombre ? Existe-t-il un "droit au soleil" ? En France, la réponse est nuancée. Le Code civil protège certaines servitudes de vue et de jour, mais le droit à l'ensoleillement n'existe pas en tant que tel. Décryptage d'une problématique qui touche des milliers de propriétaires chaque année.

Sommaire

L'affaire californienne qui a fait le tour du monde

Les faits

En 2019, un résident de Palo Alto, en Californie, a vu son voisin construire une imposante villa de 800 m² sur trois niveaux. Le problème : cette construction projetait une ombre permanente sur sa propriété, réduisant drastiquement l'ensoleillement de son jardin et de ses panneaux solaires. La production photovoltaïque a chuté de 70 %.

La procédure

Le plaignant a saisi les tribunaux en invoquant plusieurs fondements :

  • La violation d'une servitude de lumière implicite
  • Le trouble anormal de voisinage
  • La perte de valeur immobilière
  • Le préjudice écologique (perte de production solaire)

Le verdict

Après des années de procédure, le jury a accordé 1,2 million de dollars de dommages-intérêts, incluant :

  • 450 000 $ pour la perte de valeur du bien
  • 380 000 $ pour la perte de production solaire sur 20 ans
  • 270 000 $ pour le préjudice moral
  • 100 000 $ en dommages punitifs

Cette décision, exceptionnelle même aux États-Unis, a relancé le débat sur le "solar access" et le droit à l'ensoleillement.

Le droit à l'ensoleillement aux États-Unis

Le Solar Access : une protection variable

Aux États-Unis, le droit varie considérablement d'un État à l'autre. Certains États ont adopté des "Solar Access Laws" :

  • Californie : protection des systèmes solaires existants (Solar Shade Control Act)
  • Wisconsin : servitudes solaires négociables
  • New Mexico : "Solar Rights Act" garantissant l'accès au soleil
  • Colorado : zones de protection solaire définies par les municipalités

D'autres États n'offrent aucune protection spécifique. Le propriétaire lésé doit alors se rabattre sur le droit commun des nuisances (nuisance law).

La doctrine de l'Ancient Lights

Héritée du droit anglais, la doctrine de l'Ancient Lights protège le droit à la lumière acquis par prescription. Si une fenêtre a bénéficié de lumière naturelle pendant 20 ans sans interruption, le voisin ne peut plus la bloquer. Cette doctrine n'est reconnue que dans quelques États américains (principalement en Nouvelle-Angleterre).

Les covenants et HOA

Dans les lotissements gérés par des Homeowner Associations (HOA), les règlements internes (covenants) peuvent garantir un ensoleillement minimum. Un voisin qui construit en violation de ces règles s'expose à des sanctions et à une démolition forcée.

Qu'en est-il en France ?

Pas de droit au soleil en tant que tel

Le droit français ne reconnaît pas de "droit au soleil" général. Les règles d'urbanisme fixent des délais d'instruction et des procédures, mais pas de protection spécifique de l'ensoleillement. Votre voisin peut construire et vous faire de l'ombre, tant qu'il respecte les règles d'urbanisme. C'est une différence majeure avec certains États américains.

Les servitudes de jour et de vue

Le Code civil distingue deux notions :

Le jour (articles 675-677) : ouverture qui laisse passer la lumière mais pas le regard (verre translucide, hauteur suffisante). Peut être créé sans condition de distance.

La vue (articles 678-680) : ouverture permettant de regarder chez le voisin. Soumise à des distances minimales :

  • Vue droite : 1,90 m minimum de la limite
  • Vue oblique : 0,60 m minimum

Ces servitudes protègent l'intimité, pas l'ensoleillement. Un voisin peut bloquer votre soleil sans violer ces règles.

La servitude de prospect

Le PLU peut imposer des règles de prospect (recul, hauteur) qui limitent indirectement l'ombre projetée. Ces règles varient selon les zones et les communes. Consultez le règlement de votre zone avant tout projet.

Le trouble anormal de voisinage

C'est le principal recours en France. La jurisprudence reconnaît que même des travaux licites peuvent causer un trouble anormal si leurs conséquences dépassent les inconvénients normaux du voisinage.

Critères retenus par les tribunaux :

  • Importance de la perte d'ensoleillement
  • Caractère permanent ou temporaire
  • Situation antérieure du quartier
  • Respect ou non des règles d'urbanisme

Un bâtiment conforme au PLU peut quand même être condamné si le préjudice est disproportionné. Mais les montants accordés en France restent bien inférieurs au cas américain : quelques milliers à quelques dizaines de milliers d'euros.

Les recours possibles contre une construction qui fait de l'ombre

Avant la construction : contester le permis

Si votre voisin dépose un permis de construire, vous disposez de 2 mois à compter du premier jour d'affichage pour former un recours. Ce délai est impératif.

Motifs de recours :

  • Non-respect des règles de hauteur du PLU
  • Violation des distances aux limites
  • Non-conformité à l'aspect architectural imposé
  • Erreur dans le calcul des surfaces

Attention : le recours abusif peut être sanctionné. Vous devez démontrer un intérêt à agir et des arguments juridiques solides.

Le recours gracieux

Avant le tribunal, tentez un recours gracieux auprès du maire. Gratuit et simple, il suspend le délai contentieux. Présentez vos arguments par écrit, avec plans et photos à l'appui.

Le recours contentieux

Si le recours gracieux échoue, saisissez le tribunal administratif dans les 2 mois. Un avocat est recommandé. Le tribunal peut annuler le permis si des illégalités sont avérées.

L'action en trouble anormal de voisinage

Une fois la construction achevée, l'action se porte devant le tribunal judiciaire. Vous demandez :

  • Des dommages-intérêts pour le préjudice subi
  • Éventuellement, des travaux de mise en conformité

Les tribunaux français accordent rarement la démolition. La durée de validité du permis étant de 3 ans, les travaux sont souvent achevés avant le jugement. Ils préfèrent indemniser le préjudice. Les montants ? De 5 000 € à 50 000 € dans les cas graves, loin du million américain.

Cas pratiques et jurisprudence française

Cas 1 : Extension et perte d'ensoleillement (Cass. 3e civ., 2018)

Un propriétaire construit une extension de 40 m² conforme au PLU. Le voisin perd 3 heures d'ensoleillement quotidien dans son séjour. Le tribunal accorde 15 000 € de dommages-intérêts pour trouble anormal, malgré la conformité de l'extension.

Enseignement : la légalité ne protège pas contre le trouble anormal.

Cas 2 : Surélévation et panneaux solaires (CA Lyon, 2020)

Une surélévation fait passer une maison de 6 à 9 mètres de hauteur. Le voisin avait installé des panneaux solaires quelques années plus tôt. Production réduite de 40 %.

Le tribunal condamne le constructeur à 25 000 € de dommages-intérêts, correspondant à la perte de production sur 10 ans. Il refuse la démolition car la surélévation est conforme au PLU.

Enseignement : les installations solaires sont prises en compte, mais modérément.

Cas 3 : Construction neuve en limite (TGI Marseille, 2019)

Un propriétaire construit une maison de 180 m² en limite de propriété, atteignant la hauteur maximale du PLU (9 m). Le voisin, en contrebas, perd tout ensoleillement de son jardin.

Malgré la conformité totale au PLU, le tribunal accorde 35 000 € pour trouble anormal caractérisé. La configuration des terrains (dénivelé) aggravait le préjudice.

Enseignement : le contexte topographique compte.

Erreurs à éviter

1. Attendre trop longtemps pour agir

Le délai de recours contre un permis est de 2 mois. Passé ce délai, vous ne pouvez plus contester l'autorisation. Surveillez les affichages de permis dans votre voisinage.

2. Négliger le recours gracieux

Le recours gracieux est gratuit et peut suffire. Certaines mairies préfèrent corriger une erreur plutôt qu'affronter un contentieux. Tentez toujours cette voie d'abord.

3. Surestimer vos chances

Les tribunaux français sont prudents. La perte d'ensoleillement seule, sans violation des règles d'urbanisme, donne rarement lieu à des condamnations importantes. Évaluez objectivement votre dossier.

4. Oublier la médiation

Avant tout procès, proposez une médiation. Un voisin peut accepter de modifier son projet (réduire une hauteur, déplacer une fenêtre) pour éviter un conflit long et coûteux.

5. Construire en représailles

Certains voisins, frustrés, construisent à leur tour pour "rendre la pareille". Cette escalade ne résout rien et peut vous exposer à des recours.

Questions fréquentes

Peut-on empêcher un voisin de construire s’il va nous faire de l’ombre ?

Pas automatiquement. Si le projet respecte le PLU (hauteur, recul, emprise), le permis sera accordé même s'il vous fait de l'ombre. Vous pouvez contester le permis uniquement s'il viole une règle d'urbanisme. Après construction, vous pouvez invoquer le trouble anormal de voisinage pour obtenir des dommages-intérêts, mais rarement la démolition.

Existe-t-il un droit au soleil en France ?

Non. Le droit français ne reconnaît pas de droit au soleil en tant que tel. Les servitudes de jour et de vue protègent l'intimité, pas l'ensoleillement. Seul le trouble anormal de voisinage permet d'obtenir réparation si la perte de lumière est excessive et dépasse les inconvénients normaux du voisinage.

Combien peut-on obtenir en France pour une perte d’ensoleillement ?

Les montants sont bien inférieurs aux États-Unis. La jurisprudence française accorde généralement entre 5 000 € et 50 000 € selon la gravité du préjudice. Les cas dépassant 30 000 € sont rares et concernent des pertes d'ensoleillement très importantes (plus de 50 % de la luminosité) ou des configurations particulières (panneaux solaires, maison médicalisée).

Mes panneaux solaires sont-ils protégés contre l’ombre d’une nouvelle construction ?

Pas spécifiquement. Contrairement à certains États américains, la France n'a pas de "Solar Access Law". Si une construction conforme au PLU réduit votre production solaire, vous pouvez invoquer le trouble anormal de voisinage. Les tribunaux prennent en compte la perte économique, mais sans garantie de résultat. Aucune démolition n'a été ordonnée pour ce motif.

Comment prouver une perte d’ensoleillement ?

Plusieurs éléments peuvent constituer des preuves : études d'ensoleillement réalisées par un géomètre ou un architecte (avant/après), relevés photographiques à différentes heures et saisons, témoignages de voisins, rapport d'expertise judiciaire. Les logiciels de simulation (type SketchUp avec Sun Path) peuvent illustrer l'impact. Un expert judiciaire sera souvent nécessaire en cas de procès.

Conclusion

L'affaire californienne à 1 million de dollars fait rêver (ou cauchemarder) les propriétaires du monde entier. Mais transposer ce résultat en France serait une erreur. Le droit français ne reconnaît pas de droit au soleil autonome. Les recours existent — contestation du permis, action en trouble anormal — mais les résultats restent modestes.

Pour vous protéger, agissez en amont : surveillez les affichages de permis, contestez dans les délais si des règles sont violées, privilégiez la médiation. Et si vous êtes vous-même constructeur, anticipez l'impact de votre projet sur les voisins. Un plan de masse bien conçu, des hauteurs raisonnables et un dialogue ouvert éviteront bien des conflits. Le soleil appartient à tous — mais son ombre peut coûter cher.


Sources : Jurisprudence Cour de cassation, Code civil (articles 675-680), Legifrance, Service-public.fr