Jurisprudence

Délai de Prescription Urbanisme : 6 Ans ou 10 Ans ?

Délai de Prescription Urbanisme : 6 Ans ou 10 Ans ?

Temps de lecture : 12 minutes

Vous avez découvert qu'une partie de votre maison a été construite sans permis il y a 15 ans. Votre voisin a fait une extension non déclarée et vous vous demandez s'il est encore temps d'agir. La question de la prescription en urbanisme revient constamment, et pour cause : elle est souvent mal comprise. En réalité, il n'existe pas un mais plusieurs délais de prescription, qui varient selon le type de recours. 6 ans pour les poursuites pénales, 10 ans pour les actions civiles, et aucune prescription pour l'obligation de régulariser. Comprendre ces délais est essentiel, que vous soyez propriétaire d'une construction irrégulière ou voisin d'un contrevenant.

Sommaire

  1. Les différents délais de prescription en urbanisme
  2. La prescription pénale de 6 ans
  3. La prescription civile de 10 ans
  4. L'imprescriptibilité administrative
  5. Comment calculer le point de départ ?
  6. Erreurs fréquentes à éviter
  7. Questions fréquentes
  8. Conclusion

Les différents délais de prescription en urbanisme

Un système à trois niveaux

La prescription en matière d'urbanisme obéit à trois régimes distincts, selon la nature de l'action engagée :

Type d'action Délai Point de départ Conséquence après expiration
Pénale 6 ans Achèvement des travaux Plus de poursuite possible
Civile 10 ans Manifestation du dommage Plus de dommages-intérêts
Administrative Aucun Régularisation toujours exigible

Le pétitionnaire d'un projet irrégulier peut donc échapper aux poursuites pénales après 6 ans, mais rester exposé aux actions civiles pendant 10 ans, et à l'obligation de régulariser indéfiniment.

Pourquoi deux délais différents ?

Le délai de 6 ans concerne l'action publique, c'est-à-dire la capacité de l'État à poursuivre l'infraction. Il relève du Code de procédure pénale (article 8).

Le délai de 10 ans concerne l'action civile, qui permet aux victimes d'un préjudice de demander réparation. Il est fixé par l'article 2224 du Code civil (prescription de droit commun) et l'article 2270-1 pour les troubles de voisinage.

Ces deux prescriptions sont indépendantes : l'expiration de l'une n'empêche pas l'exercice de l'autre.

Ce que dit le Code de l'urbanisme

Les infractions d'urbanisme sont définies aux articles L480-1 à L480-14 du Code de l'urbanisme. L'article L480-4 fixe les sanctions pénales (amende de 1 200 à 6 000 € par m²), tandis que l'article L480-13 encadre les actions civiles en démolition.

La prescription de 10 ans pour les actions civiles est spécifiquement prévue par l'article L480-13 alinéa 2, modifié par la loi ELAN de 2018.

La prescription pénale de 6 ans

Le principe

L'infraction d'urbanisme (construction sans permis, non-respect du permis) se prescrit par 6 ans à compter de l'achèvement des travaux. Passé ce délai, le ministère public ne peut plus engager de poursuites pénales.

Avant 2017, ce délai était de 3 ans. La loi du 27 février 2017 l'a porté à 6 ans pour les délits, incluant les infractions d'urbanisme.

Le point de départ : l'achèvement

Le délai court à partir de l'achèvement des travaux, et non de leur commencement. La date d'achèvement peut être prouvée par :

  • La déclaration attestant l'achèvement (DAACT)
  • Des factures d'artisans datées
  • Des constats d'huissier
  • Des témoignages
  • Des relevés bancaires (paiement du solde constructeur)

En l'absence de preuve, le juge apprécie souverainement. Une construction manifestement ancienne (mousse sur le toit, végétation établie) peut être présumée achevée depuis longtemps.

L'interruption de la prescription

Certains actes interrompent le délai et le font repartir à zéro :

  • Procès-verbal d'infraction dressé par un agent
  • Plainte avec constitution de partie civile
  • Réquisitoire du procureur
  • Citation directe devant le tribunal

Exemple : une construction achevée le 1er janvier 2018 se prescrit normalement le 1er janvier 2024. Si un procès-verbal est dressé le 15 décembre 2023, le délai repart pour 6 ans : nouvelle prescription le 15 décembre 2029.

Les conséquences de la prescription pénale

Une fois prescrite, l'infraction ne peut plus donner lieu à :

  • Amende pénale (jusqu'à 6 000 € par m²)
  • Peine de prison (jusqu'à 6 mois en cas de récidive)
  • Inscription au casier judiciaire

Attention : la prescription pénale ne met pas fin à l'action civile ni à l'obligation administrative de régulariser.

La prescription civile de 10 ans

Le principe

L'article L480-13 du Code de l'urbanisme permet au propriétaire d'un immeuble voisin de demander la démolition d'une construction irrégulière. Cette action se prescrit par 10 ans à compter de l'achèvement des travaux.

Ce délai a été porté de 2 à 10 ans par la loi ELAN du 23 novembre 2018, pour harmoniser avec la prescription de droit commun.

Ce qui peut être demandé

Dans le cadre de l'action civile, le voisin peut demander :

  • La démolition de la construction irrégulière
  • Des dommages-intérêts pour le préjudice subi (perte de vue, d'ensoleillement, de valeur)
  • La mise en conformité (réduction de hauteur, déplacement)

Le juge apprécie l'opportunité de la démolition. Il peut la refuser si elle est disproportionnée par rapport au préjudice, notamment si la construction ne viole que des règles mineures.

Les conditions de l'action

Pour obtenir la démolition ou des dommages-intérêts, le voisin doit prouver :

  1. L'irrégularité de la construction : absence de permis, non-conformité au permis, violation du PLU
  2. Un préjudice personnel et direct : trouble de jouissance, perte de valeur immobilière
  3. Le lien de causalité entre l'irrégularité et le préjudice

La simple violation des règles d'urbanisme ne suffit pas : il faut démontrer un dommage. Un recours des tiers contre un permis obéit à la même logique.

L'articulation avec le recours administratif

L'action civile en démolition est distincte du recours contre le permis devant le tribunal administratif. Le délai de recours après affichage du permis n'est que de 2 mois, mais l'action civile reste ouverte pendant 10 ans.

Un permis annulé par le juge administratif facilite l'action civile, mais n'est pas indispensable. Le juge civil peut constater lui-même l'irrégularité.

L'imprescriptibilité administrative

Aucun délai pour exiger la régularisation

C'est le point le plus méconnu : l'administration peut exiger la mise en conformité d'une construction irrégulière sans limite de temps. Il n'existe aucune prescription administrative.

Concrètement, même 20 ans après l'achèvement, la mairie peut :

  • Refuser un permis de construire pour travaux sur le bâtiment irrégulier
  • Exiger un permis de régularisation avant toute nouvelle autorisation
  • Imposer des prescriptions lors d'une vente

L'impact sur les transactions immobilières

Lors d'une vente, le notaire vérifie la conformité urbanistique. Une construction non régularisée pose problème :

  • L'acquéreur peut exiger une régularisation avant de signer
  • Les banques peuvent refuser de financer un bien irrégulier
  • L'assurance peut opposer des réserves

La prescription pénale de 6 ans ne protège pas contre ces difficultés. Seule une régularisation effective sécurise le bien.

Comment régulariser après prescription pénale ?

Deux cas de figure :

1. La construction respecte le PLU actuel : déposez un permis de construire ou une déclaration préalable de régularisation. La mairie ne peut pas refuser si le projet est conforme aux règles actuelles.

2. La construction viole le PLU : la régularisation est impossible. Vous devez soit mettre en conformité (modifier la construction), soit solliciter une modification du PLU (très difficile).

Le délai d'instruction du permis de construire est le même pour une régularisation que pour un projet neuf : 2 à 3 mois selon les cas.

Comment calculer le point de départ ?

La notion d'achèvement

Le délai de prescription court à partir de l'achèvement des travaux. Mais quand un chantier est-il « achevé » au sens juridique ?

La jurisprudence retient la date à laquelle l'essentiel des travaux est terminé, permettant l'usage de la construction :

  • Hors d'eau et hors d'air pour une maison
  • Structure et fermetures pour un garage
  • Terrassement et bordures pour une piscine

Les finitions intérieures (peinture, sols) ne comptent pas.

Les travaux successifs

Attention aux travaux réalisés en plusieurs phases :

Exemple : construction d'un garage en 2015 (prescrit pénalement en 2021), puis ajout d'un étage au garage en 2020. L'ajout de l'étage est une nouvelle infraction, prescrite en 2026. Et si l'étage est irrégulier, il peut justifier de rouvrir le dossier du garage initial.

Le cas des constructions modifiées

Une construction régularisée qui est ensuite modifiée illégalement fait courir un nouveau délai. Le maître d'ouvrage qui agrandit une extension déjà régularisée commet une nouvelle infraction, prescrite indépendamment de la première.

Erreurs fréquentes à éviter

Erreur n°1 : Croire que 6 ans mettent fin à tout

La prescription pénale de 6 ans protège uniquement contre les poursuites pénales. Elle ne met fin ni à l'action civile des voisins (10 ans), ni à l'obligation administrative de régulariser (aucune limite).

Erreur n°2 : Confondre achèvement et déclaration

Le délai court à partir de l'achèvement réel, pas de la DAACT (déclaration d'achèvement). Une DAACT tardive ou absente ne rallonge pas artificiellement le délai. Inversement, une DAACT anticipée (avant achèvement réel) ne raccourcit pas non plus le délai.

Erreur n°3 : Penser qu'une régularisation efface l'infraction

Une régularisation administrative ne supprime pas l'infraction passée. Si la régularisation intervient avant la prescription, des poursuites pénales restent possibles (même si elles sont rares en pratique).

Erreur n°4 : Négliger les preuves de date

En cas de litige, la date d'achèvement est cruciale. Conservez précieusement :

  • Factures datées
  • Photos avec métadonnées
  • Correspondances avec artisans
  • Relevés bancaires

Un avocat en urbanisme peut vous aider à constituer un dossier probant.

Erreur n°5 : Ignorer le risque civil après prescription pénale

Même après 6 ans, votre voisin peut encore vous assigner en démolition pendant 4 ans supplémentaires (délai civil de 10 ans). Ne baissez pas la garde trop vite.

Questions fréquentes

Ma construction date de plus de 10 ans, suis-je tranquille ?

Oui et non. Après 10 ans, vous êtes protégé contre les poursuites pénales (6 ans) et les actions civiles en démolition de vos voisins (10 ans). Cependant, l'administration peut toujours exiger une régularisation. Si vous souhaitez faire des travaux, vendre ou emprunter sur ce bien, l'irrégularité ressurgira. Il est recommandé de régulariser même après 10 ans pour sécuriser votre situation patrimoniale.

Comment prouver la date d’achèvement d’une construction ?

Plusieurs éléments peuvent prouver la date d'achèvement : la déclaration d'achèvement (DAACT) si elle a été déposée, les factures des entreprises, les photos avec métadonnées (date de prise de vue), les relevés bancaires montrant les derniers paiements, les témoignages de voisins, les images satellites historiques (Google Earth). En cas de doute, le juge apprécie souverainement en fonction des éléments disponibles. Des combles aménagés visibles sur des photos anciennes peuvent dater la construction.

La prescription est-elle interrompue si je vends le bien ?

Non, la vente n'interrompt pas la prescription. Le délai continue de courir normalement. En revanche, l'acquéreur hérite de l'irrégularité et peut se retourner contre le vendeur si l'infraction est découverte après la vente (garantie des vices cachés, dol). C'est pourquoi il est préférable de régulariser avant de vendre, ou d'informer l'acquéreur et de négocier le prix en conséquence.

Mon voisin peut-il me faire démolir après 6 ans ?

Oui, l'action civile en démolition se prescrit par 10 ans, pas 6. Pendant 10 ans après l'achèvement des travaux, votre voisin peut saisir le tribunal judiciaire pour demander la démolition de votre construction irrégulière, à condition de prouver un préjudice personnel (perte de vue, d'ensoleillement, dépréciation). Passé ce délai de 10 ans, l'action civile est prescrite.

Une infraction prescrite peut-elle bloquer un futur permis de construire ?

Oui, absolument. Lors de l'instruction d'une demande de permis de construire, la mairie vérifie la situation existante. Si elle constate une irrégularité non régularisée (même prescrite pénalement), elle peut exiger une régularisation préalable. En pratique, un refus de permis de construire peut être motivé par l'existence d'une construction antérieure non autorisée sur le terrain.

Quelle est la différence entre prescription et régularisation ?

La prescription éteint le droit de poursuivre ou d'agir : après 6 ans (pénal) ou 10 ans (civil), les recours sont fermés. La régularisation consiste à obtenir une autorisation a posteriori pour une construction réalisée sans permis. Elle peut intervenir avant ou après la prescription. Seule la régularisation met fin à l'irrégularité administrative et sécurise le bien pour l'avenir. Les deux notions sont donc complémentaires, pas alternatives.

Puis-je bénéficier de la prescription si je n’ai pas affiché mon permis ?

L'absence d'affichage du permis n'empêche pas la prescription de courir. Le délai part de l'achèvement des travaux, que le permis ait été affiché ou non. En revanche, sans affichage régulier, le délai de recours des tiers (2 mois) n'a jamais couru : un voisin pourrait théoriquement contester votre permis des années plus tard. Mais cette action se heurtera à la prescription civile de 10 ans pour la demande de démolition. Le plan des façades PCMI5 de votre dossier peut prouver ce qui était autorisé.

Conclusion

La prescription en urbanisme obéit à un système complexe avec trois délais distincts :

  • 6 ans pour les poursuites pénales (amende, prison)
  • 10 ans pour les actions civiles (démolition, dommages-intérêts)
  • Aucune limite pour l'obligation administrative de régulariser

Points clés à retenir :

  1. La prescription pénale ne vous protège pas contre vos voisins ni contre l'administration
  2. Le délai court à partir de l'achèvement réel des travaux
  3. Conservez toutes les preuves de date (factures, photos, DAACT)
  4. Une régularisation reste possible et recommandée, même après prescription
  5. Un bien non régularisé pose problème lors des travaux futurs ou de la vente

Face à une situation complexe, ne restez pas dans l'incertitude. Que vous soyez propriétaire d'une construction irrégulière ou voisin d'un contrevenant, faites le point sur votre situation et agissez avant l'expiration des délais. Un garage non déclaré peut sembler anodin, mais il peut bloquer un projet d'extension des années plus tard.


Sources : Code de l'urbanisme (articles L480-1 à L480-14), Code de procédure pénale (article 8), Code civil (articles 2224, 2270-1), Loi ELAN du 23 novembre 2018, Legifrance, Service-public.fr