Prescription trentenaire : Ces constructions sauvées par le temps
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Une extension construite il y a 25 ans sans autorisation. Un garage bâti par le propriétaire précédent sans permis. Une véranda jamais déclarée qui existe depuis des décennies. Ces situations sont fréquentes, et la question revient toujours : après combien de temps une construction illégale devient-elle inattaquable ? La prescription trentenaire est souvent invoquée comme un bouclier protecteur, mais la réalité juridique est plus nuancée. Entre prescription pénale de 6 ans, prescription civile de 10 ans et acquisition trentenaire, les délais varient selon l'angle d'attaque. Comprendre ces mécanismes peut vous éviter de mauvaises surprises, que vous soyez propriétaire d'un bien ancien ou acquéreur potentiel.
Sommaire
- Qu'est-ce que la prescription en urbanisme ?
- Les différents délais de prescription
- Procédure et effets de la prescription
- Cas pratiques et exemples
- Erreurs à éviter
- Questions fréquentes
- Conclusion
Qu'est-ce que la prescription en urbanisme ?
La prescription est un mécanisme juridique par lequel l'écoulement du temps fait acquérir ou perdre un droit. En matière d'urbanisme, elle joue sur plusieurs tableaux : la prescription pénale empêche les poursuites après un certain délai, la prescription civile limite les recours des voisins, et la prescription acquisitive (trentenaire) peut consolider une situation de fait.
Fondement juridique
La prescription en urbanisme repose sur plusieurs textes :
| Type de prescription | Délai | Fondement juridique |
|---|---|---|
| Prescription pénale | 6 ans | Article 8 du Code de procédure pénale |
| Prescription civile | 10 ans | Article 2224 du Code civil |
| Prescription trentenaire | 30 ans | Articles 2258 et suivants du Code civil |
Le PLU et les règles d'urbanisme restent opposables même après prescription. Une construction prescrite peut être non conforme sans être illégalement sanctionnable.
Ce que la prescription protège (et ne protège pas)
Après 6 ans (prescription pénale) :
- Plus de procès-verbal possible
- Plus d'amende jusqu'à 6 000 EUR/m²
- Plus de condamnation pénale
Après 10 ans (prescription civile) :
- Plus de recours en démolition par un tiers
- Plus d'action en dommages-intérêts des voisins
Ce qui reste même après 30 ans :
- La construction reste non conforme au regard du PLU
- Impossible de l'agrandir ou de la modifier sans régularisation
- Vente plus difficile (le notaire signalera l'irrégularité)
- Pas de permis de construire sur la base de l'existant non régularisé
Les différents délais de prescription
Prescription pénale : 6 ans
Le délai d'instruction du permis de construire est de 2 à 3 mois. Mais si vous construisez sans ce permis, vous commettez une infraction pénale. Cette infraction se prescrit par 6 ans, mais attention : le délai ne court qu'à partir de l'achèvement des travaux.
Point de départ du délai :
- Travaux terminés = point de départ
- Travaux inachevés = pas de prescription (infraction continue)
- Travaux modifiés après achèvement = nouveau délai
Exemple : Un garage de 25 m² construit sans permis en 2015 ne peut plus faire l'objet de poursuites pénales depuis 2021. Mais s'il a été agrandi en 2020, la prescription recommence à zéro.
Prescription civile : 10 ans
La prescription 10 ans concerne les actions civiles, notamment les demandes de démolition formulées par les voisins ou les tiers. Passé ce délai, un voisin ne peut plus saisir le tribunal judiciaire pour obtenir la démolition d'une construction qui lui cause préjudice.
Conditions :
- Le délai court à compter de l'achèvement
- Le demandeur doit prouver un préjudice (perte de vue, d'ensoleillement)
- L'action doit être intentée dans les 10 ans
Le recours des voisins contre un permis de construire se prescrit par 2 mois après l'affichage. Mais l'action civile en démolition pour construction sans permis peut être exercée pendant 10 ans.
Prescription trentenaire : 30 ans
La prescription trentenaire, dite aussi prescription acquisitive, permet dans certains cas de consolider une situation de fait. En matière de construction, elle s'applique différemment selon les cas :
Pour les servitudes :
Une vue irrégulière sur le terrain voisin (fenêtre à moins d'1,90 m de la limite) peut devenir une servitude acquise après 30 ans d'usage continu.
Pour la propriété :
Une construction sur le terrain d'autrui peut, après 30 ans de possession, devenir la propriété du constructeur (sous conditions strictes).
Pour l'urbanisme :
La prescription trentenaire ne régularise PAS une construction illégale au regard du Code de l'urbanisme. Elle empêche seulement certaines actions civiles.
Procédure et effets de la prescription
Comment prouver l'ancienneté d'une construction ?
Pour invoquer la prescription, vous devez prouver que la construction existe depuis le délai requis :
Preuves acceptées :
- Photos aériennes (IGN, cadastre)
- Actes notariés mentionnant la construction
- Attestations de témoins
- Factures de travaux datées
- Permis de construire ancien (même non conforme)
Le plan de masse pour permis de construire des archives communales peut montrer l'état du terrain à une date donnée.
Effets de la prescription pénale
Passé le délai de 6 ans après l'achèvement :
- Le procureur ne peut plus poursuivre
- La mairie ne peut plus dresser procès-verbal
- Mais elle peut toujours refuser un nouveau permis basé sur l'existant non conforme
Attention : L'arrêté de permis mentionne les prescriptions à respecter. Ne pas les confondre avec la prescription au sens juridique du terme.
Effets de la prescription civile
Après 10 ans :
- Un voisin ne peut plus demander la démolition au tribunal
- Il ne peut plus réclamer de dommages-intérêts pour le préjudice passé
- Mais il conserve le droit de se plaindre des nuisances actuelles (troubles anormaux de voisinage)
Effets de la prescription trentenaire
Après 30 ans de possession continue et non équivoque :
- Acquisition possible d'une servitude de vue
- Consolidation de l'emprise au sol
- Mais pas de régularisation administrative
La durée de validité du permis de construire est de 3 ans. Ne pas confondre avec les délais de prescription des infractions.
Cas pratiques et exemples
Exemple 1 : Extension non déclarée de 35 m²
Situation : Lors d'une vente, l'acheteur découvre que l'extension de 35 m² de la maison n'a jamais été déclarée. Elle a été construite en 1998.
Analyse juridique :
- Prescription pénale acquise (6 ans) depuis 2004
- Prescription civile acquise (10 ans) depuis 2008
- Plus aucune action possible contre le vendeur
Conséquences pratiques :
- Le notaire mentionnera l'irrégularité dans l'acte
- La surface ne sera pas prise en compte pour le calcul officiel
- Tout projet futur nécessitera une régularisation préalable
Pour une extension de 20 m² ou plus, un permis de construire aurait été nécessaire.
Exemple 2 : Garage construit par le propriétaire précédent
Situation : Un acheteur acquiert une maison en 2020. Le garage de 40 m² a été construit en 1985 sans autorisation.
Analyse :
- 35 ans se sont écoulés depuis l'achèvement
- Prescription pénale ET civile ET trentenaire acquises
- Le garage est « inattaquable » par les voisins et l'administration
Conseil : Faire établir un certificat de non-opposition n'est pas possible pour une construction ancienne non autorisée. Mais la situation est consolidée par le temps.
Exemple 3 : Véranda ajoutée il y a 5 ans
Situation : Une véranda de 18 m² a été construite en 2020 sans déclaration préalable.
Analyse :
- Prescription pénale : court jusqu'en 2026
- Prescription civile : court jusqu'en 2030
- Risques : amende, démolition ordonnée par le tribunal
Solution : Déposer une déclaration préalable de régularisation. Si la véranda respecte le PLU actuel, elle peut être régularisée. Pour une piscine ou un bow-window, la logique est la même.
Erreurs à éviter
1. Croire que 6 ans suffisent à tout régulariser
La prescription pénale de 6 ans empêche les poursuites, mais ne régularise pas la construction. Vous ne pourrez pas obtenir de permis d'extension, et la vente sera compliquée.
2. Confondre prescription et régularisation
La prescription éteint les actions judiciaires. La régularisation met la construction en conformité. Seule la régularisation permet de modifier ou agrandir le bien ultérieurement.
3. Ignorer les travaux ultérieurs
Chaque modification remet le délai de prescription à zéro. Un garage construit en 1990 mais agrandi en 2022 n'est pas prescrit.
4. Négliger la preuve de la date d'achèvement
Sans preuve de la date des travaux, impossible d'invoquer la prescription. Conservez photos, factures, attestations. Un géomètre peut dater approximativement une construction par comparaison des photos aériennes.
5. Oublier les règles du PLU
Même prescrite, une construction doit respecter le PLU pour toute demande future. Si vous voulez construire dans un lotissement ou modifier l'existant, le règlement s'applique.
Questions fréquentes
Quel est le délai de prescription pour une infraction d’urbanisme ?
Le délai de prescription pénale pour une infraction d'urbanisme est de 6 ans à compter de l'achèvement des travaux. Passé ce délai, plus aucune poursuite pénale n'est possible (pas d'amende, pas de procès). Cependant, le délai de prescription civile est de 10 ans : un voisin peut demander la démolition jusqu'à 10 ans après l'achèvement.
Quel est le délai de prescription pour des travaux sans permis ?
Pour des travaux réalisés sans permis de construire ou sans déclaration préalable, le délai de prescription pénale est de 6 ans et le délai de prescription civile est de 10 ans. Ces délais courent à partir de l'achèvement complet des travaux. Si les travaux sont modifiés ultérieurement, les délais recommencent à zéro.
Une extension non déclarée est-elle prescrite après 10 ans ?
Après 10 ans, une extension non déclarée ne peut plus faire l'objet d'une action en démolition par un voisin (prescription civile). Les poursuites pénales sont également éteintes depuis 6 ans. Toutefois, l'extension reste non conforme au regard du PLU : vous ne pourrez pas l'agrandir ni la modifier sans régularisation préalable.
Qu’est-ce qu’un permis avec prescriptions ?
Un permis avec prescriptions est un permis de construire accordé sous certaines conditions particulières à respecter. Ces prescriptions peuvent porter sur les matériaux (prescriptions matériaux), les couleurs (prescriptions couleurs), les plantations, les accès ou d'autres éléments. Les prescriptions ABF sont fréquentes en secteur protégé. Le non-respect des prescriptions peut entraîner un refus de la DAACT et des poursuites.
Quels types de prescriptions peut imposer la mairie ?
La mairie peut imposer des conditions particulières PC portant sur : les matériaux de façade et de toiture, les couleurs (RAL imposé), les plantations à réaliser, les accès et voiries, les mesures compensatoires environnementales. Un permis avec prescriptions reste un accord sous réserve du respect de ces conditions. L'arrêté de permis détaille toutes les réserves permis à respecter.
Quel est le délai de prescription pour un permis de construire ?
Le permis de construire lui-même a une durée de validité de 3 ans (prorogeable). Le délai de recours des tiers contre un permis accordé est de 2 mois après l'affichage continu sur le terrain. Une fois purgé de tout recours, le permis devient définitif. La conformité des travaux au permis peut être vérifiée pendant 3 à 5 mois après la DAACT.
La prescription trentenaire régularise-t-elle une construction ?
Non, la prescription trentenaire ne régularise pas administrativement une construction illégale. Elle permet d'acquérir certains droits (servitude de vue, propriété sur le terrain d'autrui), mais la construction reste non conforme au PLU. Pour régulariser véritablement, il faut déposer un permis de régularisation ou créer un escalier déclaré a posteriori.
Conclusion
La prescription trentenaire des constructions est un sujet complexe qui mêle droit pénal, droit civil et droit de l'urbanisme. Les délais varient selon l'action envisagée : 6 ans pour les poursuites pénales, 10 ans pour les actions civiles en démolition, 30 ans pour l'acquisition de certains droits.
Une construction prescrite n'est pas pour autant régularisée. Elle échappe aux sanctions, mais reste non conforme au PLU. Toute modification future nécessitera une régularisation préalable, et la vente du bien sera marquée par cette irrégularité.
Si vous êtes concerné par une construction ancienne non autorisée, faites établir un dossier prouvant la date d'achèvement et consultez le dossier de permis original s'il existe. En cas de projet de modification, une régularisation sera nécessaire auprès de la mairie. Le respect des prescriptions imposées par le PLU et, le cas échéant, par le secteur ABF reste incontournable.
Sources : Code de l'urbanisme, Code de procédure pénale, Code civil, Legifrance, Service-public.fr
