Jurisprudence

Portugal : Régularisation Massive des Constructions Illégales

Portugal : la Régularisation Massive des Constructions Illégales

Temps de lecture : 8 minutes

En 2014, le Portugal a lancé une opération sans précédent : régulariser des centaines de milliers de constructions illégales bâties depuis les années 1950. Maisons construites sans permis, extensions non déclarées, bâtiments sur terrains agricoles : le pays a choisi l'amnistie plutôt que la démolition. Cette politique, impensable en France, a transformé le paysage juridique portugais. Comment fonctionne ce mécanisme ? Pourquoi la France ne le fait-elle pas ? Analyse d'un cas unique en Europe.

Sommaire

  1. Le contexte portugais
  2. La loi de régularisation de 2014
  3. Comparaison avec la France
  4. Exemples et cas pratiques
  5. Questions fréquentes
  6. Conclusion

Le contexte portugais

Un héritage de constructions illégales

Le Portugal porte un héritage lourd : des décennies de construction anarchique, notamment dans les régions rurales et le littoral de l'Algarve.

Les causes historiques :

Période Contexte Conséquence
1950-1974 Dictature Salazar Urbanisme peu contrôlé
1974-1985 Révolution, instabilité Priorités autres que l'urbanisme
1985-2008 Boom immobilier Construction massive, contrôles insuffisants
2008-2014 Crise économique Impossibilité de démolir

Estimation en 2014 : 500 000 à 800 000 bâtiments concernés, soit près de 15% du parc immobilier portugais.

Les types de constructions concernées

Les constructions illégales au Portugal recouvrent des situations variées :

Constructions totalement illégales :

  • Maisons bâties sans aucun permis
  • Habitations sur terrains agricoles ou forestiers
  • Bâtiments en zone littorale protégée

Constructions partiellement irrégulières :

  • Extensions non déclarées
  • Modifications sans autorisation
  • Dépassements de surface autorisée

Problèmes documentaires :

  • Permis perdus ou jamais enregistrés
  • Constructions anciennes sans cadastre
  • Héritages sans actes de propriété clairs

L'impasse de la démolition

Face à cette situation, deux options : démolir ou régulariser.

La démolition était impossible :

  • Coût estimé : 50 milliards d'euros
  • Familles à reloger : 300 000+
  • Impact économique dévastateur
  • Opposition politique massive

La régularisation s'est imposée comme la seule solution pragmatique.

La loi de régularisation de 2014

Le dispositif RJUE simplifié

Le Portugal a modifié son Code de l'urbanisme (RJUE – Regime Jurídico da Urbanização e Edificação) pour créer un mécanisme de régularisation simplifié.

Conditions d'éligibilité :

Critère Exigence
Date de construction Avant le 15 mars 2014
Sécurité structurelle Attestation d'un ingénieur
Salubrité Normes minimales respectées
Risques naturels Hors zones à risque majeur
Propriété Titre de propriété valide

Exclusions :

  • Constructions en zone inondable à risque fort
  • Bâtiments menaçant ruine
  • Terrains appartenant à l'État ou aux communes
  • Zones protégées à haute valeur environnementale

La procédure de régularisation

Étape 1 : Déclaration du propriétaire

  • Formulaire de demande de régularisation
  • Plan de situation et photos
  • Paiement d'une taxe forfaitaire (200-500 €)

Étape 2 : Expertise technique

  • Rapport d'un ingénieur civil agréé
  • Attestation de stabilité structurelle
  • Conformité aux règles de sécurité minimales

Étape 3 : Instruction municipale

  • Vérification de l'éligibilité
  • Consultation des services (si nécessaire)
  • Délai : 30 à 90 jours

Étape 4 : Régularisation

  • Délivrance d'un "titre de régularisation"
  • Inscription au cadastre
  • Possibilité de vendre, hypothéquer, hériter normalement

Les coûts pour les propriétaires

Poste Coût moyen
Taxe de régularisation 200-500 €
Honoraires ingénieur 500-1 500 €
Mise aux normes (si nécessaire) Variable
Régularisation fiscale Arriérés d'impôts
Total minimum 700-2 500 €

La régularisation a également entraîné un rattrapage fiscal : les propriétaires ont dû payer les arriérés de taxe foncière (IMI au Portugal) sur plusieurs années.

Les résultats

Entre 2014 et 2023, le Portugal a régularisé :

  • 420 000 constructions principales
  • 180 000 extensions et annexes
  • Recettes fiscales récupérées : 800 millions d'euros (IMI arriérés)
  • Taux de régularisation : environ 75% des bâtiments éligibles

Comparaison avec la France

Le cadre français : pas d'amnistie générale

En France, la régularisation des constructions illégales reste une démarche individuelle, soumise aux règles du permis de construire ou de la déclaration préalable.

Prescription pénale : 6 ans après l'achèvement des travaux, les poursuites pénales s'éteignent. Mais cela ne légalise pas la construction.

Prescription civile : 10 ans pour l'action en démolition des tiers (voisins).

Aucune prescription administrative : la commune peut exiger la démolition ou la mise en conformité sans limite de temps.

Pourquoi la France refuse l'amnistie

Plusieurs raisons expliquent l'absence de régularisation massive en France :

1. Volume moindre
Les constructions illégales en France sont estimées à 50 000-100 000 bâtiments, soit 10 fois moins qu'au Portugal proportionnellement.

2. Risque d'incitation
Une amnistie pourrait encourager de nouvelles constructions illégales dans l'espoir d'une future régularisation.

3. Zones sensibles
Beaucoup de constructions illégales françaises sont situées en zones à risques (inondation, littoral, montagne) où la régularisation créerait un danger.

4. Pression des associations
Les associations environnementales s'opposent systématiquement à toute forme d'amnistie.

Ce qui est possible en France

La régularisation individuelle reste possible sous conditions :

Cas 1 : Conformité actuelle au PLU

Si la construction, bien qu'illégale à l'origine, est aujourd'hui conforme au PLU, une demande de permis de régularisation peut être déposée.

  • Dépôt d'un permis de construire "de régularisation"
  • Instruction normale (2-3 mois)
  • Si accordé : la construction devient légale
  • Si refusé : risque de mise en demeure

Cas 2 : Non-conformité au PLU

Si la construction n'est pas conforme au PLU actuel, la régularisation est impossible. Options :

  • Démolition volontaire
  • Attente d'une modification du PLU
  • Mise en conformité (réduction de surface, modification)

Le délai d'instruction est le même que pour un permis classique : 2 mois pour une maison.

Les sanctions en France

En l'absence de régularisation, les sanctions restent applicables :

Sanction Montant/Effet
Amende pénale Jusqu'à 6 000 €/m²
Démolition judiciaire Sur décision du tribunal
Astreinte journalière 500 €/jour jusqu'à régularisation
Taxe foncière arriérée Jusqu'à 10 ans en arrière
Impossibilité de vendre Notaire bloque la vente

Exemples et cas pratiques

Au Portugal : la villa de l'Algarve

Situation : villa de 180 m² construite en 1995 sans permis sur un terrain agricole près de Faro.

Propriétaire : famille britannique ayant acheté en 2005 sans vérifier le statut.

Régularisation :

  • Demande déposée en 2015
  • Rapport d'ingénieur : 800 €
  • Taxe de régularisation : 350 €
  • Régularisation fiscale : 4 200 € (arriérés IMI)
  • Total : 5 350 €
  • Délai : 4 mois

La villa, estimée à 380 000 €, est désormais légale et vendable.

En France : l'extension non déclarée

Situation : extension de 25 m² réalisée en 2010 sans déclaration préalable.

Découverte : lors de la vente en 2023, le notaire constate l'écart entre le cadastre et la réalité.

Procédure :

  • Dépôt d'un permis de régularisation (la surface totale après travaux dépasse 150 m²)
  • Recours à un architecte obligatoire
  • Délai d'instruction : 2 mois
  • Permis accordé (extension conforme au PLU actuel)
  • Mise à jour cadastrale
  • Régularisation fiscale : 1 800 € (arriérés taxe foncière)

Coût total : 4 500 € (architecte + régularisation fiscale)

En France : le refus de régularisation

Situation : maison de 120 m² construite en 1998 sans permis en zone agricole (A).

Problème : le PLU classe toujours le terrain en zone A, inconstructible.

Issue : régularisation impossible. Le propriétaire a deux options :

  • Attendre une modification du PLU (rare et incertaine)
  • Démolir pour éviter les poursuites

La construction n'est pas couverte par la prescription car l'infraction est "continue" tant que le bâtiment existe.

Cas des piscines

Une piscine construite sans déclaration peut être régularisée si elle respecte le PLU actuel. Le seuil de 40 m² détermine si une simple déclaration suffit ou si un permis est nécessaire.

Pour les constructions voisines non déclarées, le recours des tiers reste possible pendant 2 mois après découverte de la construction.

Les leçons du modèle portugais

Ce qui a fonctionné

Pragmatisme : reconnaître l'impossibilité de démolir 600 000 bâtiments.

Simplicité : procédure standardisée, formulaires simples, délais courts.

Coût accessible : 700 à 2 500 € pour régulariser, contre 50 000 à 200 000 € de démolition.

Recettes fiscales : 800 millions d'euros récupérés en taxes arriérées.

Sécurité juridique : les propriétaires peuvent désormais vendre, hypothéquer, transmettre.

Ce qui pose question

Équité : ceux qui ont respecté la loi ont payé des permis et des taxes pendant des années.

Précédent : le risque que d'autres construisent illégalement en espérant une future amnistie.

Zones sensibles : certaines constructions régularisées sont en zones à risques (érosion côtière, inondation).

Questions fréquentes

La France pourrait-elle adopter le modèle portugais ?

C'est très improbable. Le volume de constructions illégales en France est bien moindre qu'au Portugal (50 000-100 000 contre 600 000+). De plus, beaucoup de constructions illégales françaises sont situées en zones à risques (loi Littoral, zones inondables) où une amnistie créerait un danger. Les associations environnementales s'opposeraient farouchement à toute forme de régularisation massive. Enfin, le précédent créé pourrait encourager de nouvelles infractions. La France maintient donc une approche de régularisation au cas par cas.

Comment régulariser une construction illégale en France ?

En France, la régularisation passe par le dépôt d'un permis de construire ou d'une déclaration préalable "de régularisation". Conditions : la construction doit être conforme au PLU actuel. Si elle l'est, le permis sera accordé et la construction légalisée. Si elle ne l'est pas (en zone inconstructible par exemple), la régularisation est impossible et des sanctions peuvent s'appliquer. Le délai d'instruction est identique à celui d'une demande classique. Après régularisation, le cadastre et la taxe foncière seront mis à jour (avec arriérés possibles).

Quelle est la prescription pour les constructions illégales ?

En France, il faut distinguer trois prescriptions. Pénale : 6 ans après l'achèvement, plus de poursuites pénales possibles (amende). Civile : 10 ans pour l'action en démolition des tiers (voisins). Administrative : aucune prescription. La commune peut exiger la mise en conformité ou la démolition sans limite de temps. De plus, l'infraction est "continue" : tant que le bâtiment existe sans autorisation, l'infraction perdure. La prescription ne "légalise" donc jamais une construction illégale, elle limite seulement les sanctions.

Peut-on vendre une maison construite sans permis ?

En théorie, oui. Le notaire vérifiera la conformité cadastrale et informera l'acquéreur du défaut d'autorisation. En pratique, c'est très difficile. Les banques refusent généralement de financer l'achat d'un bien irrégulier (risque de démolition). L'assurance habitation peut être compromise. L'acquéreur hérite des risques de poursuites. Le prix de vente sera fortement décôté (30 à 50%). Mieux vaut régulariser avant de vendre si le PLU le permet. Le notaire exigera un certificat de non-opposition ou une preuve de conformité.

Conclusion

Le Portugal a choisi une voie pragmatique face à des décennies de construction anarchique : régulariser plutôt que démolir. Cette politique, unique en Europe, a légalisé 600 000 bâtiments et récupéré 800 millions d'euros de taxes arriérées.

Les points clés à retenir :

  1. Le Portugal a régularisé 75% des constructions illégales éligibles entre 2014 et 2023
  2. Coût pour les propriétaires : 700 à 2 500 € en moyenne
  3. En France, pas d'amnistie : la régularisation reste individuelle et soumise au PLU
  4. Prescription française : 6 ans pénal, 10 ans civil, jamais administrative
  5. Régulariser en France : possible si la construction est conforme au PLU actuel

Pour vos propres projets, respectez les règles dès le départ. Un permis de construire coûte moins cher que les complications d'une régularisation. En cas de doute sur la conformité d'une construction existante, consultez le PLU et déposez une demande de régularisation si possible. La durée de validité d'un permis de régularisation est la même que pour un permis classique : 3 ans.

Préparez soigneusement votre dossier : plan de masse coté, extension 20 m² bien dimensionnée, et conformité au PLU vérifiée avant dépôt.


Sources : RJUE (Portugal), INE (Instituto Nacional de Estatística), Legifrance, Ministère de la Cohésion des territoires