Jurisprudence

Dossier Type pour le Tribunal Administratif en Urbanisme

Dossier Type pour Saisir le Tribunal Administratif en Urbanisme

Temps de lecture : 9 minutes

Votre permis de construire a été refusé et le recours gracieux n'a rien donné ? Le voisin a obtenu un permis manifestement illégal que la mairie refuse de retirer ? La seule solution qui reste est le recours contentieux devant le tribunal administratif. Mais comment constituer un dossier solide ?

La procédure administrative contentieuse obéit à des règles strictes. Une requête mal rédigée, une pièce manquante, un délai non respecté : les causes d'irrecevabilité sont nombreuses. Ce n'est pas tant la complexité du droit qui fait perdre les procès que les erreurs de procédure. Voici comment monter un dossier type pour maximiser vos chances de succès devant le juge administratif.

Sommaire

Qu'est-ce qu'un Recours au Tribunal Administratif ?

Le tribunal administratif : juridiction compétente

Le tribunal administratif (TA) est la juridiction de premier degré pour les litiges opposant les citoyens à l'administration. En matière d'urbanisme, il connaît :

  • Des recours contre les refus de permis de construire ou de déclaration préalable
  • Des recours contre les permis accordés (recours des tiers)
  • Des recours contre les certificats d'urbanisme de type b défavorables
  • Des actions en responsabilité contre les communes pour faute

Le tribunal compétent est celui du lieu de situation de l'immeuble concerné (et non celui du domicile du requérant).

Les types de recours

Le recours pour excès de pouvoir (REP) : le plus fréquent. Vous demandez au juge d'annuler une décision administrative illégale. Le REP est gratuit (pas de droit de timbre depuis 2014) mais les frais d'avocat restent à votre charge.

Le recours de plein contentieux : permet en plus de demander des indemnités. Utilisé notamment pour les préjudices liés à un refus abusif de permis ou à un retrait illégal.

Le délai de recours : 2 mois

Le délai pour saisir le tribunal est de 2 mois à compter :

  • De la notification du refus (pour contester un refus de permis)
  • Du premier jour d'affichage continu sur le terrain (pour contester le permis d'un tiers)
  • Du rejet explicite ou implicite du recours gracieux (si vous en avez fait un)

Ce délai est strict et non susceptible de prolongation. Un recours déposé le 61e jour sera irrecevable.

Le préalable de notification (article R600-1)

Si vous contestez le permis d'un tiers, vous devez notifier votre recours :

  • Au bénéficiaire du permis (le voisin)
  • À l'auteur de la décision (le maire)

Délai : 15 jours après le dépôt de la requête au greffe. L'absence de notification entraîne l'irrecevabilité du recours – il sera rejeté sans examen au fond.

Constitution du Dossier Étape par Étape

Étape 1 : Rassembler les pièces obligatoires

Pièces systématiquement requises :

Pièce Description
Requête introductive Exposé des faits, arguments juridiques, conclusions
Décision attaquée Copie de l'arrêté de refus ou de l'arrêté de permis contesté
Inventaire des pièces Liste numérotée de tous les documents produits
Justificatif d'intérêt à agir Titre de propriété, bail, promesse de vente

Pièces complémentaires selon le cas :

  • Recours gracieux préalable et réponse (ou preuve du silence)
  • Plan de masse du projet et autres pièces du dossier de permis
  • Photos du terrain et de l'environnement
  • Attestation d'affichage ou constat d'huissier
  • Extraits du PLU (règlement de zone applicable)

Étape 2 : Rédiger la requête introductive

La requête est le document central du dossier. Elle doit contenir :

1. L'en-tête

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE [VILLE]
REQUÊTE EN ANNULATION

Requérant : [Nom, prénom, adresse]
Défendeur : Commune de [X] / M. [Y] (bénéficiaire du permis)
Objet : Annulation de l'arrêté n°[X] du [date]

2. L'exposé des faits
Chronologie claire et factuelle : date de dépôt de la demande, date de la décision, objet du projet, contexte du litige.

3. Les moyens d'annulation
C'est le cœur de la requête. Chaque argument juridique doit être développé :

  • Vices de procédure (défaut de consultation, motivation insuffisante)
  • Vices de légalité externe (incompétence de l'auteur)
  • Vices de légalité interne (non-conformité au PLU, erreur de droit)

4. Les conclusions
Ce que vous demandez au juge :

PAR CES MOTIFS, il est demandé au Tribunal :
- D'ANNULER l'arrêté n°[X] du [date]
- DE CONDAMNER la commune au paiement de [X]€ au titre de l'article L761-1
- DE METTRE les dépens à la charge du défendeur

Étape 3 : Déposer la requête

Dépôt papier : au greffe du tribunal administratif, en autant d'exemplaires que de parties + 2. En pratique, comptez 4 exemplaires minimum (vous, la commune, le bénéficiaire éventuel, le greffe).

Dépôt électronique : via l'application Télérecours (telerecours.fr), obligatoire pour les avocats, facultatif pour les particuliers. Avantage : notification instantanée, suivi en ligne.

Étape 4 : Notifier aux parties (si permis d'un tiers)

Dans les 15 jours suivant le dépôt, envoyez par lettre recommandée AR :

  • Une copie de la requête au bénéficiaire du permis
  • Une copie à la mairie

Conservez les accusés de réception et produisez-les au tribunal.

Étape 5 : Échanger les mémoires

Le tribunal communique votre requête aux défendeurs qui ont un délai pour répondre (mémoire en défense). Vous pouvez répliquer (mémoire en réplique). L'instruction peut durer 12 à 24 mois.

Depuis la réforme de 2018, les moyens sont « cristallisés » après un délai fixé par le juge. Impossible d'invoquer un nouveau motif d'illégalité après cette date – soignez votre requête initiale.

Exemples de Requêtes Types

Exemple 1 : Recours contre un refus de permis pour défaut de motivation

Contexte : un permis pour une extension de 35 m² est refusé avec ce seul motif : « non conforme au PLU ».

Moyens développés :

  1. Défaut de motivation (article L424-3 du Code de l'urbanisme) : la décision doit indiquer précisément les règles méconnues.
  2. Erreur de droit : le projet respecte en réalité les articles 6, 7 et 10 du règlement de zone UA (développement avec les cotes du projet).
  3. Subsidiairement, erreur manifeste d'appréciation sur l'insertion paysagère.

Issue probable : annulation pour défaut de motivation, injonction de réexaminer la demande.

Exemple 2 : Recours de voisin contre un permis pour non-respect du prospect

Contexte : un voisin obtient un permis pour une maison de 8 m de haut à 2,50 m de la limite séparative, alors que le PLU impose H/2 (soit 4 m minimum).

Moyens développés :

  1. Intérêt à agir : le requérant est propriétaire du terrain adjacent, la construction affecte son ensoleillement.
  2. Violation de l'article 7 du règlement de zone : le recul imposé est de H/2 = 4 m, or le projet prévoit 2,50 m.
  3. Production : extrait du PLU, plan de masse coté du permis, photos.

Issue probable : annulation du permis si le vice est avéré.

Exemple 3 : Recours contre le retrait d'un permis tacite

Contexte : vous avez déposé un permis le 1er mars. Le délai d'instruction de 2 mois expire le 1er mai sans réponse – permis tacite acquis. Le 15 mai, la mairie retire ce permis tacite pour « non-conformité au PLU ».

Moyens développés :

  1. Illégalité du retrait : le retrait d'un permis tacite doit intervenir dans le délai de recours (3 mois, article L424-5), mais le permis ne peut être retiré que s'il est illégal.
  2. Légalité du permis : le projet est conforme au PLU (développement des arguments).
  3. Demande de certificat de non-opposition : à titre subsidiaire.

Issue probable : annulation du retrait si le permis tacite était légal.

Erreurs à Éviter

1. Manquer le délai de 2 mois

Le délai est strict et non prorogeable. Même une requête reçue le lendemain du délai sera irrecevable. Anticipez les week-ends et jours fériés – le cachet de la poste ou l'horodatage Télérecours fait foi.

2. Oublier la notification au bénéficiaire du permis

L'article R600-1 impose de notifier votre recours au bénéficiaire ET à la mairie dans les 15 jours. Sans cette formalité, votre recours est irrecevable. Envoyez les LRAR le lendemain du dépôt pour être sûr.

3. Invoquer des moyens inopérants

Tous les arguments ne se valent pas. « Le projet est moche » n'est pas un moyen juridique. Concentrez-vous sur les violations objectives du PLU, les vices de procédure documentés, les erreurs de droit caractérisées. Un avocat spécialisé vous aidera à trier.

4. Produire un dossier incomplet

L'absence de la décision attaquée, l'oubli de l'inventaire des pièces, un titre de propriété manquant : autant de causes de rejet pour irrecevabilité. Vérifiez chaque pièce de la liste avant l'envoi.

5. Négliger la preuve de l'affichage

Si vous contestez le permis d'un voisin, l'affichage conditionne le délai de recours. Photographiez le panneau, notez la date, et si possible faites un constat d'huissier. Sans preuve que l'affichage est irrégulier, le tribunal considérera que le délai a couru normalement.

Questions Fréquentes

Faut-il un avocat pour saisir le tribunal administratif ?

Non, l'avocat n'est pas obligatoire devant le tribunal administratif en première instance. Vous pouvez déposer et défendre votre requête vous-même. Cependant, le droit de l'urbanisme est technique et les erreurs de procédure fréquentes. Pour un enjeu supérieur à 3 000€, un avocat spécialisé rentabilise généralement ses honoraires par un meilleur taux de succès. En appel (cour administrative d'appel), l'avocat devient obligatoire.

Combien coûte un recours devant le tribunal administratif ?

Le recours lui-même est gratuit (pas de droit de timbre). Les frais se composent des honoraires d'avocat (2 000€ à 6 000€ pour un recours simple), des éventuels frais de constat d'huissier (300-500€), et des frais d'expertise si le juge en ordonne une (1 500-4 000€ avancés). En cas de victoire, vous pouvez récupérer une partie de ces frais au titre de l'article L761-1 du Code de justice administrative (généralement 1 000€ à 3 000€).

Quel délai pour obtenir un jugement du tribunal administratif ?

Comptez 18 à 24 mois entre le dépôt de la requête et le jugement. Ce délai inclut l'instruction (échanges de mémoires), les éventuelles mesures d'expertise, et l'audience. En appel, ajoutez 12 à 18 mois supplémentaires. Un référé-suspension peut être jugé en quelques semaines, mais il est rarement accordé en urbanisme (il faut prouver l'urgence et le doute sérieux sur la légalité).

Le recours suspend-il le permis de construire attaqué ?

Non, le recours n'est pas suspensif. Le permis reste valide et les travaux peuvent commencer et se poursuivre pendant toute la procédure. Seul un référé-suspension, accordé par le juge des référés, peut stopper les travaux. Pour l'obtenir, il faut démontrer une urgence (préjudice irréparable) et un doute sérieux sur la légalité du permis. En pratique, ces conditions sont rarement réunies en matière d'urbanisme.

Quels types de décisions d’urbanisme peuvent être contestées ?

Toutes les décisions individuelles en matière d'urbanisme sont contestables : refus de permis de construire ou de déclaration préalable, permis accordé (par les tiers), retrait ou annulation de permis, certificat d'urbanisme de type b défavorable, opposition à déclaration préalable, sursis à statuer. Les décisions tacites (accord par silence) sont également attaquables. En revanche, les documents d'urbanisme généraux (PLU, carte communale) relèvent d'une procédure distincte.

Conclusion

Constituer un dossier pour le tribunal administratif exige méthode et rigueur. Les pièces obligatoires (requête, décision attaquée, inventaire, justificatif d'intérêt à agir) doivent être réunies dans le respect strict des délais. La notification aux parties dans les 15 jours est un impératif absolu pour les recours contre les permis de tiers.

La requête elle-même doit développer des moyens juridiques solides : vices de procédure, violation du PLU, erreur de droit. Les arguments purement subjectifs (« le projet est inesthétique ») n'ont aucune chance de prospérer. Appuyez-vous sur les règles du PLU, le Code de l'urbanisme, et les pièces du dossier de permis.

Le recours des voisins comme la contestation d'un refus nécessitent une analyse préalable de la légalité de la décision. Si votre projet est effectivement non conforme, mieux vaut le modifier et redéposer une demande. Si le permis du voisin respecte le PLU, le recours n'aboutira pas. La consultation d'un avocat spécialisé reste le meilleur investissement pour évaluer vos chances avant de vous engager.

Pour les litiges concernant les ERP (commerces type M, hôtels type O), la procédure est identique mais les enjeux souvent plus importants. Pensez aussi à vérifier si vous n'avez pas laissé passer la possibilité de construire dans un lotissement avec des règles spécifiques.


Sources : Code de justice administrative, Code de l'urbanisme (articles L600-1 et suivants, R600-1), Service-public.fr